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Auteur Fil de discussion: Comme dans un panier de crabes...  (Lu 5066 fois)
Capitaine
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« le: 12 Avril 2009 à 19:50:54 »

  Le "Flamboyant" voguait sur les eaux calmes des caraïbes, et la sérennité du voyage avait déteint sur les hommes d'équipage, dont les multiples nationalités et cultures favorisaient souvent l'émulation et des rivalités constantes. Ce jour-ci donc, tout le monde travaillait dans la paix et la tolérance.
  Agonie et Barracuda étaient réunis dans la cabine du capitaine, et au cours du dîner Agonie avait révelé quels avaient été ses motifs de sortir de sa retraite française.
-La tâche noire ?!s'étonna le Barracuda.
  Il s'était mis �  l'aise dans un fauteuil au bois sculpté, avait ôté son long manteau rouge et ouvert son col de chemise.
-Je pensais que cette pratique était révolue depuis les chasses aux pirates lancées par le Royaume-Uni. La dernière fois que j'ai entendu parler d'une tâche noire, c'est quand j'ai bavardé un peu avec le cambusier, Flint, et le coq, Goldman. Ils m'avaient raconté que le gouverneur de la prison de Maracaïbo avait passé un accord avec des flibustiers détenus, qui lui avaient promis une grosse somme en échange de son aide pour les faire évader. Le gouverneur avait accepté, avait encaissé l'argent et avait ensuite fait arrêter les évadés. Les fugitifs étaient passés par la corde, et avec son pécule celui qui les avait trahis se fit nommer gouverneur de Charleston, en Caroline du Nord. Peu de temps après, il reçut une tâche noire, avec un message de la part des frêres de la côte, pour lui rappeller qu'il avait une dette envers leur societé.
-Et que s'est-il passé après ? demanda Agonie en portant sa coupe de vin �  ses lèvres, tout en sachant ce que son capitaine allait lui répondre.
-Et bien, fit Barracuda, dans les 24 heures qui ont suivit, le gourneur a été assassiné, assez sauvagement. Je crois que c'est l'un des très rares cas véridiques de tâche noire répertoriés dans l'histoire de la piraterie, poursuivit-il, �  la base c'était plus une menace destinée �  effrayer et �  ramener aux pas les subversifs. Je suis donc surpris de savoir que l'un des nôtres ai envoyé cette vieille sentence. Je ne suis pas surpris que tu en sois la victime, connaissant ta longue liste d'ennemis.
  Sur cette boutade, le français eut un sourire complice.
-Pourtant, beaucoup de mes anciennes et dangereuses fréquentations me tenant rancunes pour d'obscures raisons sont soit mortes soit...disparues. Et si "ils" avaient voulu me fouttre les foies, ils se seraient manifestés il ya longtemps. C'est pour ça que j'ai pensé �  toi, �  un moment...
Barracuda leva la main.-Ca me crève te de dire ça, mais tu as ma parole que ce n'est pas moi l'auteur de cette farce. Je ne savais même pas que tu vivais encore, après la bataille avec ces corsaires anglais. Entre parenthèses, Aurora n'avait pas l'air de soucier beaucoup de ta santé.
  Agonie ne releva pas, et parut plongé dans ses pensées.
-Comment s'appelle ton coq, déjà , fit-il après silence de quelques secondes.
-Goldman, répondit Barracuda. John-Paul Goldman, mais tout le monde �  bord, excepté moi, l'appelle "Goldie". C'est un type formidable, plein de ressources, ce qui est surprenant vu son handicap...
-Pourquoi ? Il a la langue coupée ?
-Non, ça non, c'est même un sacré bavard quand on le lance sur un sujet, il sait captiver son auditoir. Non, tu verras ça quand tu le rencontreras. Je t'encourage �  aller le voir, c'est aussi une perle de cuisinier.
Agonie se leva de table, enfila sa redingote bleue sombre, et annonça:
-Je vais suivre ton conseil, capitaine. J'ai repensé �  cette histoire de viol et meurtre nocturne, et j'ai décidé de mener l'enquète avec Pulovsky. Lui interrogeras les matelots, moi je ferais la causette aux officiers. Et je vais commencer par ce brave Goldman, puisqu'il a l'air si abordable.
-Très bien, approuva Barracuda. Je ne pense pas que tu avanceras plus que moi dans cette affaire, mais en tout cas souviens-toi de ce que je t'ai dit �  propos des marins qui travaillent �  l'intérieur.
-Oui ? fit Agonie, saisi par un doute. Goldman est anglais, c'est ça ?
  Pour toute réponse, son capitaine sourit en renversant la tête en arrière, rejetant ses longs cheveux noirs pour découvrir ses pomettes saillantes. Agonie hocha la tête et sortit en gromellant, mi-exaspéré mi-amusé:
-J'ai horreur des gens qui font ça!  
« Dernière édition: 19 Avril 2009 à 22:01:00 par Capitaine »
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Capitaine
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« Répondre #1 le: 19 Avril 2009 à 22:53:50 »

Agonie alla sur le tillac, sentant un vent doux caresser ses cheveux gris en brosse. On aurait pu entendre une mouette rotter. Les marins étaient tous affairés, et seuls quelques uns discutaient �  voix basse avec leurs compagnons.
Le français arriva �  l'écoutille menant �  l'entrepont, et descendit pour la première fois �  l'intérieur du Flamboyant. "Je dois être fou, pensa-t-il, pour oser descendre dans ce panier de crabes, je pourrais facilement me faire poignarder. Par les roubignolles de Barbe-Noire, comme c'est excitant !".
Quand Agonie parvint aux cuisines, il régnait une chaleur intolérable. Il distinguait trois personnes au fond, mais la condensation et le faible éclairage les rendait floues. Le cuistot avait du espérer profiter des rayons de soleil pour éclairer un tant soit peu ses quartiers qui étaient assez proches de l'écoutille. Agonie hésitait �  entrer dans ce sauna, quand l'un des trois hommes quitta son poste et s'avança lentement vers lui. Il marchait laborieusement, en claudiquant, et un bruit mât frappait régulièrement le sol. Agonie distinguait peu �  peu les contours et les vêtements de cet homme dans la fumée.
-Paul Goldman ? s'enquit-il. John-Paul ?
-Lui-même, étranger, répondit une voix basse, imposante irrésistiblement captivante.
Le français voyait maintenant parfaitement le cuisinier. Un anglais d'une cinquantaine d'années, une tignasse bouclée, poivre et sel, les yeux bleus acier, le visage rasé de près, et une expression de brutalité contenue derrière un masque de jovialité. Une rapide analyse permit �  Agonie de repérer le handicap dont lui avait parlé Barracuda: le bruit sourd qu'il avait entendu �  plusieurs reprises était celui d'une béquille que le coq callait sous son aisselle droite. Goldman n'avait pas de jambe de bois. Ce détail frappa Agonie la Belle qui chercha où il avait déj�  rencontrer cet anglais. Il avait connu plusieurs unijambistes, mais il avait l'impression qu'il avait croisé la route de celui-ci récemment. Pourtant, impossible de retrouver la moindre image.
Il tendit la main �  Goldman et se présenta:

-Enchanté, monsieur, je suis le nouveau second du capitaine Barracuda, on vous a peut-être parlé de moi. Agonie la Belle.
Lorsqu'il donna son nom, le cuisinier eut un frisson, presque imperceptible, et une ombre passa sur ses yeux. Mais il retrouva aussitôt le sourire et serra de sa patte d'ours la serre d'Agonie.
-Agonie la Belle ? fit-il en semblant chercher lui aussi dans ses souvenirs. En effet ça me dit quelque chose, et je suis flatté de vous recevoir dans mon humble atelier, monsieur. Je vous en prie, joignez-vous �  nous!
Goldman le fit passer devant lui, et le français découvrit avec qui le coq discutait. Il reconnut le maître canonnier, Boyd, qui transpirait comme un galérien, et un autre homme, maigre, vêtu d'une chemise aux manches déchirées, aux longs cheveux bruns filasses et �  la tronche aussi sympathique qu'une lame de rasoir.
-Bonjour, messieurs, risqua Agonie, sur ses gardes.
Aucun des deux ne répondit, Boyd eut seulement un léger hochement de tête, et l'autre se contenta de le regarder en biais, par en dessous, portant une chope �  sa bouche tordue.
-Allons les gars, ne soyez pas timides, dites bonjour �  notre capitaine en second, Agonie la Belle! s'exclama Goldman en tapant l'épaule du français.
En entendant le coq prononcer ce nom, celui aux cheveux longs s'anima. Il ouvrit la bouche d'un air effaré et bégaya en jetant des regards �  Goldman:
-Ag...Agonie!? Haaaaa....
Il déglutit et porta la main à son front.
-M'sieur, 'd'mande pardon, j'v's'avais pas reconnu.
-Monsieur, vous êtes en présence de Harding, notre maître voilier, expliqua le cuisinier.
Harding. Encore un nom inexplicablement familier.
Agonie prit une chaise et s'assit, acceptant la chope que lui tendait le coq en cadeau de bienvenue. Il goûta et eut dans la bouche une texture pas très liquide, pâteuse, mi-amère, mi-salée, et tiède.
-Qu'est ce que c'est ? demanda-t-il en s'efforçant d'adopter une expression neutre, malgré l'écoeurement succédant �  la surprise.
-De la bière galloise, tonna fièrement Goldman en se servant lui-même. Apportée à bord par notre cambusier, M.Flint. Vous aimez ?
-Oui, oui, beaucoup, assura Agonie par politesse et par prudence, vu la gueule des compagnons de Goldman.
-Monsieur Flint a voulu en faire essayer tout l'équipage en en arrosant la viande, et 'y a �  moitié eu une mutinerie. Certains ont voulu tuer notre cambusier, qui en a étripé deux par légitime défense, les autres ont été exécutés. C'est la raison pour laquelle il ne reste plus beaucoup de français �  bord.
Le cuisinier termina sur un ton de regret, mais Agonie vit Boyd et Harding échanger un regard et un sourire complice.
-Monsieur Goldman, commença Agonie...
-Voyons, appelez-moi John-Paul, coupa le coq familièrement. Ou Paul. Ou Goldie. Tout le monde m'appelle Goldie!
-Très bien, Goldie, approuva Agonie. Or donc, Goldie, je venais vous voir pour vous poser deux, trois questions �  propos d'un incident concernant l'équipage.
Un silence s'installa, puis Goldman fit un bref signe de tête aux deux anglais, qui quittèrent la cuisine sans mot dire. Goldman s'assit en face de son capitaine en second.
-Et bien, j'essayerais de vous aider au maximum.
Il lui fit signe de poursuivre.
-Le capitaine m'a dit qu'une nuit où les gars festoyaient avec ceux d'un équipage espagnols, une femme avait été assassinée.
Goldman hocha la tête.
-Les espagnols croyaient que l'un d'entre vous était le responsable.
Après un moment de réflexion, le coq fit:
-Je me souviens, c'était une fille qui travaillait au bordel où la fiesta avait lieu. Je la connaissais bien que je ne m'étais pas joint aux autres. Je ne fréquente pas les bordels. C'était une brave fille, ça ma fait un choc quand on a su ce qu'elle avait subit.
-Nous pensons donc, le capitaine et moi, poursuivit le français, que si l'auteur de cet acte pour le moins ignoble se trouve �  bord, il doit être démasqué et jugé pour son crime.
-Ses crimes, corrigea Goldman.
-Je vous demande pardon ?
-Le capitaine ne vous a pas précisé que cet incident se répète �  chaque visite �  terre ? fit Goldman d'un air faussement surpris. Cette série dure depuis plus de 6 mois. Les espgnols étaient dans le vrai: il y a un sauvage parmi nous, et quand je dis un sauvage, je ne sous-entend pas un indien ou un métèque. Je parle d'un fou furieux, un assassin fanatique qui laisse sa marque sur ses victimes.
-Je n'étais pas au courant de ces détails...
L'épais cuisinier se pencha vers le français dans un air de confidence.
-Et je vais vous faire un aveu, Agonie, murmrura t'il. Ce bateau est un véritable baril de poudre! Les anglais détestent les français, les irlandais et les écossais haissent les anglais, les français en minorité sont très amis avec les écossais et les irlandais, la plupart des hommes craignent le capitaine et rèvent de lui dévisser la tête et un jour ou l'autre ça pétera.  Seuls Flint, un ami, et moi, on se fiche du problèmes des éthnies et des différents culturels et on a décidé, lorsque le moment sera venu, de disparaitre avec le plus de butin possible!
Agonie ne voyait pas pourquoi cet homme lui confiait ce secret, et lui fit savoir.
-Parce que, cher Agonie la Belle, répliqua Goldman dans un souffle, je  connais votre réputation de trompe-la-mort, et que certains d'entre nous savent comment vous vous êtes tirés de situations périlleuses en emportant la caisse...Vous vous souvenez certainement de M. Jéricho Blastad ?
Agonie déglutit.
-Honnêtement, nous nous éloignons un peu du sujet de ma visite.
-Certes, admit Goldman avec un sourire mauvais, mais ainsi je suis sûr d'obtenir toute votre attention. Le bouche �  oreille fonctionne plutôt bien dans les caraïbes, et on raconte qu'�  force d'exactions dans ce genre vous avez amassé un beau magot, en association avec Jack Rackman.
Le français était maintenant paralysé par la panique: ce cuisinier serait-il l'instrument de sa fin ?
-Vous devez commencer à comprendre où je veux en venir, non ? siffla Goldman à travers ses dents serrés et lançant un regard malveillant. Si par un pur hasard, mon plan venait �  être dévoilé �  cet empaffé de Barracuda, la boucherie éclatera, et vous serez la cible de nombreuses convoitises.
-Qu'est-ce que vous voulez au juste, espèce de cinglé ? fit Agonie en reculant son siège.
-Votre silence. Et votre collaboration, si besoin est, au moment de notre fuite. Vous pourriez, par exemple, éliminez le capitaine...Je sais que vous êtes de nouveau très copains tout les deux, et que cette alliance signifie que vous êtes sur une affaire très juteuse. Vous voyez bien que je me fiche de votre butin. Tout ce qui m'interresse, comme mes deux camardes, c'est une paisible retraite, loin de nos faits d'armes et d'empécheurs de tourner en rond.
Le cuisinier empoigna sa bequille et le leva avec difficulté. Une fois debout il retrouva son aimable sourire, et conclut:
-Réflechissez donc �  mon petit chantage, et faites moi signe quand vous aurez choisi entre être torturé puis découpés en morceaux par vos frêres prêts �  tout, ou bien avoir la vie sauve et une chance de raccrocher définitivement.
Agonie se leva également, et déclara:
-Très bien, Goldie, je vous le ferais savoir. Cependant vous ne m'avez toujours pas dit ce que vous pensiez de cette affaire de viol en série ?
-Exact, fit Goldman en frappant dans sa main. Je ne prétend pas connaître l'identité du coupable �  bord, mais renseignez-vous sur l'étrange symbôle que l'on a retrouvé �  chaque fois sur le corps des filles. A mon avis, quand vous aurez résolu ce petit mystère, vous trouverez votre homme.
-Je vous remercie pour votre aide génereuse, Goldie, dit Agonie affablement, prenant enfin congé.  
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