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Auteur Fil de discussion: Première victoire sur l'Angleterre  (Lu 7752 fois)
Def
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« le: 25 Septembre 2007 à 19:59:48 »

Cela faisait une semaine que la Vivacia naviguait sans avoir rencontré un seul navire. L'équipage commençait �  se lasser de cette croisière monotone. Certains, qui étaient de quart, s'affairaient sur les voiles tandis que d'autres briquaient le pont. Ceux qui n'étaient pas de quart tuaient le temps en jouant aux cartes et en buvant la dernière ration de rhum distribuée par le capitaine.
Celui-ci, dans sa luxueuse cabine, n'échappait pas �  l'ennui de la routine et ne cessait de tracer des courbes et des droites sur une carte de la mer des caraïbes. Son second, un verre de rhum �  la main, se tenait derrière le capitaine et hochait la tête pour approuver le capitaine.
-Alors M. Mangeon, nous descendons le long de ce méridien, nous bifurquons sur tribord pendant trois jours et nous jetons l'ancre ici, dit celui-ci en posant son index, orné d'un anneau d'or serti d'un minuscule diamant, sur un petit bout de terre dessiné sur la carte. Qu'en dites-vous ?
-J'en dis que c'est ce que nous avons de mieux �  faire, nous ne pouvons guère pousser plus �  l'ouest et les hommes seront suf...
-HOE, VOILE A TRIBORD, VOILE A TRIBORD !!!
Le capitaine et son second se précipitèrent sur le pont. Ils déplièrent leur longue-vue en même temps et collèrent leur oeil contre l'oculaire.
-Que voyez-vous, Second ?
-C'est un faible tonnage, Capitaine, je dirais une flûte ou une goélette. Je ne distingue pas bien son pavillon mais je dirais que c'est un anglais ou un hollandais.
-Faites rappeler aux postes de combat, prenezs la barre et rapprochez-nous de lui, je veux être sûr.
Le second fit sonner le sifflet, le pont de la Vivacia fut soudain en effervescence. Les matelots se ruèrent sur le pont et prirent leur poste de combat, certains coururent aux canons, d'autres escaladèrent les grééments.
Mangeon prit la barre et aboya ses ordres. La Vivacia fit une embardée �  tribord et mit le cap sur le mystérieux navire.
Au fur et �  mesure qu'elle s'approchait, le capitaine put voir la nationalité de la flûte: un anglais.
Il se tourna vers le pont et cria aux marins qui attendaient, impatients d'en découdre:
-Messieurs, nous allons aborder cet anglais, préparez-vous �  une bataille sans merci car ils sont largement en sous-nombre et savent qu'il n'y aura pas de quartier.
Les matelots crièrent pour montrer �  leur capitaine leur détermination.
La flûte anglaise était maintenant �  une centaine de mètres sur l'avant de la Vivacia, tentant sans succès de la semer. On pouvait distinguer les marins anglais courir sur le pont, prêts au combat.
-Il vire de bord !!
L'anglais se mettait en position de tir en bifurquant sur babord.
-La barre �  babord toute !!, cria le second.
La Vivacia, plus maneuvrable, mit l'anglais sur tribord bien avant que celui-ci n'ait effectué son quart de tour.
Le capitaine Def lança:
-Paré aux canons ?
Le maître artilleur lui répondit:
-les canonniers sont parés �  faire feu, capitaine.
-Feu !!
Le navire français lâcha sa première bordée qui fit mouche. Les voiles furent perçées de part en part, une dizaine de soldats anglais tomba sur le pont. Deux blessés furent projetés �  l'eau et coulèrent aussi sec.
-Chargez les boulets ramés !!
-Chargez les boulets ramés, bien capitaine !
Les canonniers entreprirent de recharger leurs canons avec les boulets enchaînés. Pendant ce temps, l'anglais en profita pour faire feu.
-Attention !!
Le capitaine s'accroupit pendant que les boulets ennemis pleuvaient sur la Vivacia. La bordée de celle-ci avait dû ébranler quelque peu les canonniers car beaucoup de boulets passèrent au-dessus du pont et plongèrent dans la mer. Quelques-uns, malheureusement, touchèrent la coque, sans faire de réels dommages toutefois. Hélas, un matelot qui courait se mettre �  l'abri reçut un boulet en pleine tête et fut décapité. Deux autres marins furent tués également, leur abri ayant été pulvérisé.
La flûte vira sur tribord pour essayer une nouvelle fois de distancer la Vivacia.
Le capitaine héla le maître artilleur:
-Artilleur, lachez une bordée en visant leurs mâts !
-Bien capitaine !
Une nouvelle fois, les canons de la Vivacia rugirent. Cette nouvelle bordée fit mouche, le mât principal de l'anglais se brisa net sur le coup et tomba sur l'arrière du navire, l'immobilisant en réduisant ainsi �  néant le dernier espoir des anglais d'échapper �  l'abordage. L'équipage de la Vivacia poussa un cri de joie. Celle-ci se rapprocha de la poupe anglaise et lâcha une nouvelle bordée qui décima l'équipage anglais et détruisit tout ce qui dépassait sur le pont.
Le combat dura encore une heure, le navire français restait en-dehors de portée de la flûte qui ne pouvait plus se diriger et continuait �  l'arroser de ses boulets.
Puis le capitaine anglais dut se rendre compte que le combat était perdu. Il fit hisser le drapeau blanc.
-Canonniers, cessez le feu !! L'équipage sur le pont paré �  l'abordage !
-Cessez le feu, paré �  l'abordage, bien capitaine.
L'artilleur aboya ses ordres et l'équipage français se trouva sur le pont, arme en main, en un temps record.
La Vivacia aborda la flûte anglaise et fit prisonnier les survivants anglais qui s'étaient rassemblés sur le pont sur ordre de leur capitaine. Celui-ci, très digne dans la défaite, remit son sabre au capitaine Def. Les prisonniers furent conduits dans la cale et la marchandise de l'anglais fut transbordée rapidement.
C'était la première victoire du capitaine Def sur un navire anglais.
   
« Dernière édition: 28 Septembre 2007 à 23:32:37 par Def »
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« Répondre #1 le: 26 Septembre 2007 à 16:41:45 »

Après avoir soulagé la Mer des Caraïbes de la présence d'une flûte et d'un brick espagnols, non sans avoir pris soin de détourner leur cargaison dans les cales de la Vivacia avant, le capitaine Def sauta sur le quai du port qu'il venait d'accoster. L'équipage qui n'était pas de quart se précipita en courant sur le quai direction les tavernes de la ville. Le jour de paye était le lendemain et le capitaine devait remettre une missive au gouverneur espagnol pour le compte du gouverneur de Coro. Avec un peu de chance, il aurait été plus rapide que la rumeur et il aurait déj�  mis les voiles lorsque le gouverneur apprendrait ses exploits.
Ce fut le cas, celui-ci reçut le capitaine avec courtoisie, il lui offrit un cognac qui provenait probablement des cales d'une pinasse française que ces culs-de-jatte d'espagnols avaient dû attaquer en traître. Le gouverneur ne semblait pas se rendre compte de son manque de tact. Def savoura le cognac en se régalant des souvenirs des combats qui avaient vu périr nombre d'espagnols en répondant distraitement au gouverneur qui lui parlait de la pluie et du beau temps. Puis il prit congé du rustre lorsque sa prime lui fut remise.
Le butin de la Vivacia commençait �  devenir conséquent.A titre de curiosité, Def rentra par le chantier naval. C'est en approchant de l'entrée qu'il l'entraperçut.
Il vit d'abord le haut de ses deux mâts. Puis sa vision en fut envahie: une magnifique brigantine en très bon état mouillait tranquillement dans les eaux du bassin telle un diamant dans un écrin. Le capitaine vit ses trente sabords prêts �  accueillir des canons flambant neufs, il se vit voguer �  la barre de ce fier vaisseau.
Ce n'était pas encore une frégate ni un manowar mais les promesses de victoire qui se profilaient sous ses voiles pliées le fit frissoner. Il fila au bureau des ventes.
Deux jours plus tard, la Vivacia entrait dans le bassin du chantier naval pour un ultime voyage sous le commandement du capitaine Def. Celui-ci et son équipage allaient prendre possession de la "Lune", la seule brigantine du chantier qui semblait attendre son capitaine avec impatience.
La "Lune" fut baptisée au rhum, la bouteille se brisa net contre le bois de sa coque profilée, ce qui était un bon présage. L'équipage était heureux et son capitaine aux anges.
Il ne restait plus qu'�  recruter plus d'une centaine de bons et honnêtes marins et �  se faire livrer les canons et les vivres. La "Lune" allait rester encore quelque temps dans son bassin avant de repartir porter haut les couleurs de la France.  
« Dernière édition: 28 Septembre 2007 à 23:34:34 par Def »
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« Répondre #2 le: 27 Septembre 2007 à 14:52:16 »

C'était le grand jour, la "Lune" était parée �  appareiller. Ces derniers jours, son capitaine n'avait fait que courir les tavernes de la ville pour trouver de solides marins et un chirurgien. Il n'avait pas réussi �  recruter autant qu'il le voulait mais l'équipage était bien formé maintenant. Il en trouverait d'autres �  la prochaine escale, �  quatre jours d'ici.
Il se tenait sur le pont arrière �  la barre et surveillait les marins qui relevaient les aussières. La "Lune" commença �  s'éloigner doucement du quai.
Le capitaine contrôla le dégagement de sa brigantine en se penchant légèrement sur le côté puis cria:
"Hissez les huniers !!"
"Gabiers, hissez les huniers !", relaya un homme qui portait un foulard bleu noué sur la tête, le second.
A ce commandement, les hommes envoyèrent les huniers qui se déployèrent fièrement en haut du mât.
"Levez l'ancre !!"
"Levez l'ancre !"
Aussitôt, six hommes se mirent au travail et commencèrent �  virer l'ancre au cabestan, faisant retentir dans le bassin son cliquetis métallique.
"Envoyez les perroquets !"
L'ordre fut répété et immédiatemment exécuté.
"Hissez les cacatois !!"
La brise s'engouffra dans les voiles et le navire commença �  prendre de la vitesse, le capitaine prit la barre et dirigea la "Lune" vers le chenal.
Une fois la route dégagée, le capitaine donna l'ordre de hisser la grande voile et la misaine. Ceci fait, la "Lune" glissa rapidement vers la sortie de la baie. Elle avait fière allure, toutes ses voiles déployées. Elle se découpait sur l'horizon, prête �  bondir �  l'assaut des anglais, des hollandais et des espagnols. Comme un chat qui se ramasse avant de bondir sur la souris qui s'apprête �  passer sous son nez, la
"Lune" avait la noblesse des félins, la fougue d'un jeune fauve, l'agressivité d'un prédateur naturel des mers et ne s'en laisserait pas compter une fois au combat. Du moins était-ce la pensée du capitaine Def alors qu'il barrait, regardant droit devant lui en essayant de sentir au mieux dans ses mains les réactions de son nouveau bébé.
Oui, je sens que nous allons vivre des moments merveilleux ensemble, se dit-il en tapotant la barre de la main droite et en attrapant de la gauche un cigare qui provenait de la cargaison du dernier espagnol vaincu par la Vivacia.

   
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« Répondre #3 le: 28 Septembre 2007 à 14:48:50 »

Le capitaine Def se reposait dans sa cabine. Après toutes ces semaines �  courir les ports et les proies, il profitait de cet instant de calme. Son manteau bleu nuit était posé sur la chaise devant le grand bureau sur lequel reposait, dépliée, une carte des Caraïbes. Il avait retiré ses pistolets et son sabre de sa ceinture mais les gardait �  portée de main sur le lit sur lequel il était allongé. On ne savait jamais ce qui pouvait vous tomber dessus ni quand. Mieux valait être prudent et le capitaine Def ne dérogeait pas �  cette règle.
Les pieds en éventail, il réfléchissait en fixant le plafond de ses yeux verts. Il avait ordonné au second de mettre le cap sur l'île de Grenade. Son intention était de demander une audience au gouverneur et de lui acheter une lettre de marque. Les missions qu'on lui confierait lui rapporterait plus d'argent, lui et son équipage seraient protégés en cas de coup dur s'ils étaient amenés �  être faits prisonniers et surtout, cette lettre de marque ferait sans doute parler de lui �  la cour du Roy. La renommée comptait beaucoup pour le jeune Def. Car que restait-il lorsque vous aviez passé l'arme �  gauche ? Rien si ce n'était le droit d'être cité dans les histoires que nos descendants racontaient �  leurs enfants et petits-enfants. La renommée était la seule chose qui vous rendait immortel. Et Def était décidé �  la conquérir.
Ainsi, dès son arrivée sur l'île de Grenade, il demanda aussitôt une audience. Lorsqu'il entra dans le bureau du gouverneur, celui-ci était affairé �  regarder une servante lui faire sa manucure:
-Entrez, entrez, jeune homme !! Bien le bonjour �  vous. Que puis-je pour vous ?
-Vôtre grâce, je vous salue et vous signale que j'ai �  mon actif la destruction de deux bricks, deux flûtes et une goélette anglaise, hollandaise et espagnoles. Aussi vous serai-je reconnaissant de ne pas m'appeler "jeune homme" si vous le voulez bien.
-Ah et comment dois-je vous appeler, mon jeune ami ?
-Mes amis m'appelent Def, répondit le capitaine en soutenant le regard irrité du gouverneur.
-Très bien, DEF, que puis-je faire pour vous ? Et dépêchez-vous de me l'expliquer car les affaires de l'île m'appellent et elles ne souffrent aucun délai, dit le gouverneur en insistant sur le nom du capitaine en prenant un air pincé.
-Je serai bref, Votre grâce, j'ai besoin d'une lettre de marque pour la course.
-Vous voulez devenir corsaire ?
-Il se trouve que j'ai déj�  un navire, un bon équipage et quelques victoi...
-Ca va, ça va, j'ai compris, le coupa impoliment le gouverneur ce qui eut le don d'énerver franchement le jeune capitaine. Ma foi, nous avons quelques problèmes avec les anglais et les hollandais dans la région. Si une lettre de marque vous encourageait �  m'en débarasser, je serais ravi de vous l'écrire.
-Je ferai de mon mieux, Vôtre Grâce.
-Bien. A quel nom, la lettre ?
Le capitaine poussa un soupir mais réussit �  se contenir.
-Capitaine Def, Vôtre Grâce.

Il sortit du bâtiment et se dirigea en marchant vers le port. L'entrevue avec le gouverneur avait mis les nerfs du jeune homme �  rude épreuve mais il tenait en main sa lettre. Il s'assit sur un banc, regarda autour de lui pour vérifier qu'il n'y avait personne. Il enleva le ruban marqué du sceau royal qui l'entourait, la déplia et la relut:

Louis-Marie de Laurac, comte de Sainte-Lucie, admiral de France, �  tous ceux qui ces présentes lettres verront, Salut,. Le Roy ayant déclaré la guerre au Roy Catholique, aux fauteurs de l'usurpateur des couronnes d'Angleterre et d'Ecosse, et aux Etats des Provinces unies, pour les raisons contenues dans les déclarations que sa Majesté a fait publier dans toute l'étendue de son royaume, païs, terres et fiefs de son obéissance, et Sa Majesté nous ayant commandé de tenir la main �  l'observation desdites déclarations, en ce qui dépend du pouvoir et autorité qu'il a plu �  Sa Majesté attribuer �  notre charge, avons, suivant les ordres exprès de Sadite Majesté, donné congé, pouvoir et permission au Sieur Def, demeurant �  Saint-Malo, de faire armer et équiper en guerre un navire nommé "Lune", du port de Saint-Georges, avec tel nombre d'hommes, canons, boulets, poudres, plombs et autres munitions de guerre et vivres qui y sont nécessaire pour le mettre en mer en état de naviguer et courir sus aux pirates, corsaires et gens sans aveu, même aux sujets du Roy Catholique, des Etats des Provinces Unies, aux facteurs de l'usurpateur des couronnes d'Angleterre et d'Ecosse, et autres ennemis de l'Etat, en quelques lieux qu'il pourra les rencontrer, soit aux côtes de leurs païs, dans leurs ports ou sur leurs rivières, même sur terre aux endroits où ledit capitaine Def jugera �  propos de faire des descentes pour nuire auxdits ennemis, et y exercer toutes les voyes et actes permis et usitez par les lois de la guerre, les prendre et amener prisonniers avec leurs navires, armes et autres choses dont ils seront saisis, �  la charge par ledit Def de garder et faire garder par ceux de son équipage les ordonnances de la Marine, porter pendant son voyage le pavillon et enseigne des armes du Roy et les nôtres, faire enregistrer le présent congé au greffe de l'Amirauté le plus proche du lieu où il fera son armement, y mettre un rolle signé et certifié de luy, contenant les noms et surnoms, la naissance et demeure des hommes de son équipage, faire son retour audit lieu ou autre port de France dépendant de notre juridiction, y faire son rapport, par-devant les officiers de l'Amirauté et non d'autres, de ce qui se sera passé durant son voyage, nous en donner avis et envoyer au secrétaire général de la Marine sondit rapport avec les pièces justificatives d'iceluy pour être sur le tout ordonné au Conseil de ce que de raison.
Prions et requérons tous Rois, Princes, potentats, seigneuries, Estats, Républiques, amis et alliez de cette couronne et tous autres qu'il appartiendra, de donner audit Def toute faveur, aide, assistance et retraite en leurs ports avec sondit vaisseau et tout ce qu'il aura pu conquérir pendant son voyage, sans luy donner nu souffrir qu'il luy soit fait ou donné aucun trouble ny empêchement, offrant de faire le semblable lorsque nous en serons par eux requis. Mandons et ordonnons �  tous officiers de Marine et autres sur lesquels notre pouvoir s'étend, de le laisser seurement et librement passer avec sondit vaisseau, armes et équipages et les prises qu'il aura pu faire, sans luy donner ny souffrir qu'il luy soit fait ou donné aucun trouble ny empêchement, mais au contraire luy donner tout le secours et assistance dont il aura besoin, ces présentes non valables après un an du jour de ladite d'icelles, en témoins de quoy nous les avons signées et icelles fait contresigner et sceller du sceau de nos armes par le secrétaire général de la Marine �  Saint-Georges, le premier jour du mois de fébvrier 1695.

Signé : L.M.L de Bourbon, Cte de Sainte-Lucie, admiral de France, et sur le reply : par Monseigneur de Valincourt, et scellé.


Le capitaine leva les yeux de la lettre. C'était parfait, il avait tout ce qu'il lui fallait: son équipage et lui étaient maintenant corsaires du Roy.  
« Dernière édition: 28 Septembre 2007 à 16:30:02 par Def »
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« Répondre #4 le: 01 Octobre 2007 à 17:19:27 »

Jean de Kerval était pêcheur comme son père et son grand-père. Il vivait avec son épouse Antoinette dans un petit bourg, non loin de Saint-Malo. Ils s'étaient mariés en l'an de grâce 1676, Jean était alors âgé de vingt-et-un ans et Antoinette de dix-neuf ans. Ils avaient eu la chance de faire un mariage d'amour, leurs familles respectives n'ayant pas émis d'objection. Une grande partie de la population avait été invitée et la fête avait été belle.
Leur cadeau de mariage avait été la petite maison qu'ils habitaient maintenant. Certes, ce n'était pas un palais et de nombreux travaux avaient été �  faire mais, �  force de persévérance, Jean en avait fait un habitat coquet qui plaisait beaucoup �  ses propriétaires.
Antoinette de Kerval était couturière, elle travaillait dans un atelier près de l'église avec les voisines pendant que les hommes tiraient leurs filets au large. Elle et Jean menait une vie tranquille, routinière mais heureuse. Peu de temps après, le 15 novembre 1677, ils eurent leur unique fils qu'ils appelèrent Gaël.
Lorsqu'il était sorti du ventre de sa mère, il n'avait pas crié, il avait posé ses grands yeux verts sur tout ce qui l'entourait: sa mère, son père, le drap taché de sang, la sage-femme. Celle-ci avait dit �  Antoinette et Jean que leur fils serait curieux et un peu rêveur.
A l'âge de huit ans, Gaël de Kerval était un garçon comme les autres. Ses longs cheveux noirs lui tombaient sur les épaules, il n'était pas particulièrement costaud mais avait l'énergie des gens de son âge. Il sortait beaucoup pour jouer aux pirates avec ses amis dans la crique de Belle-Terre �  trois kilomètres du village. Ils s'inventaient des chasses aux trésors, des anglais cruels �  combattre, des naufrages de goélettes espagnoles et écumaient les mers de leur imagination �  bord de gigantesques galions de quatre-cents canons.
Intellectuellement parlant, le jeune Gaël n'était pas en reste puisqu'il savait lire. Son père lui avait appris lorsqu'il avait eu cinq ans et l'avait lui-même appris de son père et ainsi de suite. La lecture était l'héritage de la famille de Kerval car ils estimaient que ne pas savoir lire interdisait toute réussite professionnelle. Et Gaël était content de savoir lire. il passait des soirées au coin du feu le nez dans des récits de marins ou des manuels de navigation prêtés par M. Lebleut, grand ami de la famille de Kerval.
Il était passionné par la mer. L'immensité de ses espaces, la fureur de l'océan et la volonté des marins le fascinait. Lui aussi voulait apprendre �  dompter les mers comme Jean Bart, un fier corsaire dunkerquois dont il avait beaucoup entendu parler ces derniers temps �  chaque fois qu'il était descendu en ville avec son père. Nous étions en 1685, il avait 35 ans et plus de  quatre-vingt prises �  son actif. Il avait reçu le commandement d'un navire �  l'âge de vingt-quatre ans et avait depuis navigué de victoire en victoire. Il était l'idôle de Gaël.  
« Dernière édition: 01 Octobre 2007 à 22:52:51 par Def »
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« Répondre #5 le: 02 Octobre 2007 à 14:34:35 »

A quinze ans, l'héritier des Kerval était un jeune garçon plein d'énergie. Physiquement, il était maintenant un homme. Les journées de dur labeur qu'il avait passées �  ramasser les filets avec son père lui avaient gonflé les biceps mais il était resté assez petit et trapu. Il avait gardé de sa jeunesse ses cheveux longs
qui lui descendaient sur les joues et un visage ovale qui conservait l'apparente naïveté de la jeunesse. En revanche, il avait laissé pousser un petit bouc sur le menton et ses yeux verts lui conféraient un charme certain chez les jeunes filles du village, ce dont il ne semblait pas s'apercevoir.
La journée, il aidait son père �  la pêche et retrouvait ses amis �  la taverne le soir. Ensemble, ils allaient retrouver les filles qui se baladaient en compagnie de leur chaperon que les jeunes gens faisaient tourner en bourrique �  la moindre occasion.

Pour fêter son anniversaire, ses amis avaient invité Gaël �  la taverne. La soirée était bien commencée, ils avaient avalé �  eux quatre au moins un cochon entier arrosé d'un bon tonneau de rhum. Pierre, le plus costaud de la bande se vantait de pouvoir abattre n'importe qui au bras de fer. Il faisait le fier dans la taverne bondée et le tenancier le laissait faire car il mettait une animation que les clients semblaient apprécier. Gaël et Sylvain, quant �  eux, recherchaient des pigeons prêts �  parier sur leur victoire contre le gros Pierre. La soirée était bonne, il était en forme et les clients étaient de bonne humeur. Le rhum coulait �  flot et les rires s'entendaient jusque dans la grand'rue.
Après qu'il eut fini son vingt-troisième duel, Pierre annonça qu'il avait besoin d'une pause. Ses amis s'assirent autour de lui non sans avoir pris soin de ramener du bar un pichet de rhum ambré. Ils se mirent �  discuter du dernier exploit de Pierre avec le malheureux vaincu en riant et sirotant leur verre. Ils ne virent pas s'approcher la demoiselle qui venait de se lever de sa table dans le coin le plus sombre de la taverne.
De loin, on aurait pu la prendre pour un jeune mousse fraîchement débarqué car elle était vêtue �  la garçonne. Elle portait un pantalon brun, au-dessus de ses bottes en cuir bordeaux, soutenu par une ceinture noire qui se fermait sur une grosse boucle dorée. Sa chemise blanche était ample et une petite clé pendait discrètement autour de son cou. Elle avait ramené ses cheveux bruns sous un foulard rouge noué derrière la tête. Elle marchait comme un homme et devait avoir l'habitude des atmosphères masculines car elle était visiblement �  l'aise dans cette taverne. Seul son regard trahissait son sexe: elle avait des yeux noirs aux long cils qu'aucun homme ne pouvait avoir. Elle savait se servir de son regard, nul n'en pouvait douter et nombre de jeunes hommes avaient dû succomber �  son charme. Sa bouche était finement ciselée mais lui donnait un air sévère qui pouvait �  lui seul repousser un buveur de rhum mal intentionné.
Elle s'était levée de sa table et s'approchait doucement de celle des garçons. Elle attrapa un tabouret, le posa et s'assit entre Gaël et Pierre. Ceux-ci ne la virent que lorsqu'elle fut �  leur table:
-A mon tour !!, dit-elle �  Pierre d'une voix grave.
Celui-ci, le nez dans sa chope, se tourna vers elle et se mit �  pouffer. Il avala de travers et du rhum lui coula du nez, ce qui le fit s'étouffer. Ses compagnons éclatèrent de rire en se tenant le ventre. Lorsqu'il se fut remis, Pierre s'essuya la bouche du revers de sa manche et dit �  la jeune imprudente:
-Je ne fais pas de bras de fer avec des demi-portions surtout lorsqu'elles devraient porter des jupons au lieu de se balader avec une chope �  la main.
-Quitte ou double. Si je perds, je te donne le triple de ce que tu as gagné ce soir. Si je gagne, je dispose de l'un de vous quatre pendant une semaine.
-C'est-� -dire ?
-Il m'obéit en toute chose �  partir de ce soir et, dans sept jours �  la même heure, je le libère de mon service. Comme tu le vois, il est possible que tu n'aies rien �  perdre.
Gaël et ses deux compagnons n'en crurent pas leurs oreilles. Où était l'intérêt de la jeune femme �  prendre l'un deux �  son service ?
-Gente demoiselle, je suis sûr que vous avez un mari qui risque de ne pas être content de vous voir ici. Retournez donc �  la cuisine où vous trouverez sans doute mieux �  faire que de provoquer d'honnêtes marins, sous peine d'être ramenée par la peau du postérieur par votre homme !!
Pierre éclata �  nouveau de rire, aussitôt suivi par ses compagnons soulagés et tous émêchés par les nombreuses chopes qu'ils avaient vidées. C'est pourquoi ils ne comprirent pas ce qu'il virent. D'un geste vif, la jeune femme se leva. Du pied, elle envoya valser son tabouret derrière elle, plongea la main dans sa botte droite, vint se placer derrière Pierre qui riait aux larmes et lui fourra un couteau sous la gorge sur lequel elle exerça une pression qui stoppa net le rire de sa victime.
-D'honnêtes marins !!, dit-elle, la bouche �  deux centimètres de son oreille. Vous n'êtes que des morveux tous juste sortis du landeau, tu tétais encore le sein de ta mère en barbouillant tes couches que je naviguais déj�  sur une frégate au service du Roy.
-Qu'est...Qu'est-ce que tu veux ?, parvint �  articuler Pierre.
-Ce que je veux ? Mais rien de plus que ce que je viens de te proposer: un simple duel au bras de fer. A moins que tu n'aies la trouille de te faire battre par une femme...
-C'est bon, c'est bon si mes amis sont d'accords mais commence par enlever cette lame de mon cou, lui répondit-il en levant les mains.
La jeune femme s'écarta, rengaina son couteau dans sa botte, récupéra son tabouret et s'assit dessus, le coude posé sur la table pour commencer le bras de fer.
Le gros Pierre tenta de faire bonne figure devant l'assistance qui se moquait de lui:
-C'était du bluff, les amis !! Je le savais, vous croyez que je me serais laissé faire si elle avait été sérieuse ?
-Allez, viens, finissons-en !, lui cria la mystérieuse jeune femme, en lui tendant sa main.
Pierre se tourna vers ses compagnons:
-Vous êtes d'accord pour mettre votre semaine en jeu, les gars ? De toute façon, je pense que vous n'avez pas de raison de vous inquiéter...
Gaël, comme Sylvain, n'était pas spécialement ravi mais il avait envie de voir ce duel pas comme les autres et, ma foi, cela changerait sans doute du train-train de la pêche avec son père. Encore fallait-il que la demoiselle gagne. Ils donnèrent leur accord et le duel se mit en place.
Tous les clients de la taverne étaient rassemblés autour de la table. Les paris allaient bon train sur Pierre. Celui-ci se redressa et quitta son sourire, il allait écraser cette effrontée. Elle se tenait en face de lui, soutenant son regard. Qui était-elle pour oser affronter une taverne entière de braillards �  moitié saoûls qui la reluquaient sans se gêner ?  
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« Répondre #6 le: 03 Octobre 2007 à 13:34:53 »

Chacun empoigna la main de l'autre. L'un des clients les moins imbibés posa ses deux mains sur les leurs et donna le signal de départ. Aussitôt, les deux bras se contractèrent et commencèrent �  trembler. Le silence s'était fait dans la salle, chacun retenait son souffle. Pierre prit l'avantage. Son visage était rouge et contracté mais il était visible qu'il ne mettait pas toute sa puissance. Il commençait �  faire plier son adversaire. Celle-ci n'affichait aucune marque de contraction sur son visage. Pourtant, elle devait lutter car son poignet descendait irrémédiablement vers l'arrière. Les clients s'agitèrent, certains encouragaient Pierre, d'autres la jeune fille. A trente centimètres de la table, les deux bras se figèrent. La demoiselle contracta tous ses muscles, son visage devint rouge �  son tour. Ses lèvres se pincèrent et son poignet remonta centimètre par centimètre. Le gros Pierre mit toutes ses forces dans la bataille, il soufflait comme un phoque mais il ne faisait que retarder la remontée de son adversaire. Celle-ci souffla aussi et prit l'avantage. L'assemblée hurlait des encouragements ou des insultes suivant les personnes:
-Allez, mon vieux, j'ai parié cinquante pièces d'or sur toi, tu ne vas pas me faire défaut, non ?
-Ouais, c'est clair, si tu perds, tu nous rembourses !!
-Allez, mademoiselle, montrez �  ce gros lard que vous en avez !
Sylvain et Gaël se regardèrent, ils savaient quelle serait l'issue du duel. L'un d'eux risquait de passer une mauvaise semaine. Sur la table, Pierre luttait pour ne pas toucher. Son poignet n'était qu'�  une petite dizaine de centimètres du bois et il cria. La jeune fille cria aussi, on entendit un claquement et le dos de la main de Pierre toucha la table.
Aussitôt, la gagnante sauta dessus et poussa un cri de joie en dansant pendant que Pierre reprenait son souffle en massant son coude et que les clients applaudissaient la jeune fille. Ils avaient quasiment tous perdu leur argent mais le combat avait été beau et ce n'était pas tous les jours que la perte d'un pari portait un visage aussi doux.
Lorsque le calme se fit, la demoiselle descendit de la table et revint récupérer ses affaires. Pierre se leva et s'inclina, beau joueur, devant elle:
-J'ai perdu, gente demoiselle, je suis donc �  votre service pour toute la semaine.
-Mais notre marché était que je choisissais parmi vous, rappelle-toi, et quoique j'eus aimé t'avoir �  mon service, je pense que je t'ai assez humilié pour aujourd'hui.
Elle se tourna vers Sylvain et Gaël:
-L'un de vous voudrait-il se désigner lui-même ?, leur demanda-t-elle.
Ils se regardèrent sans rien dire.
-Je vois. Toi, comment t'appelles-tu ?, dit-elle en tendant le doigt.
-Gaël, mademoiselle.
-Cesse de m'appeler mademoiselle. Je m'appelle Marion, "Marion-la-furie" me nomme-t-on sur mon navire. Mais tu vas apprendre �  me connaître cette semaine car c'est toi que je choisis. Retrouve moi �  l'entrée du port demain matin �  sept heures. Et je te conseille de ne pas me faire défaut.
Sur ce, elle prit son baluchon, le jeta sur son épaule et se dirigea vers la sortie.
Les clients se tournèrent vers Gaël:
-Bah alors, ne fais pas cette tête-l� , tu vas avoir cette tigresse pour toi tout seul pendant une semaine !
-Ouais, c'est vrai, il y en a beaucoup ici qui aimeraient bien être �  ta place, hein !
-J'espère que tu vas pouvoir la dompter car elle n'a pas l'air de s'en laisser conter !
Gaël revint vers ses amis, l'air dépité. Il leur dit au revoir. Pierre s'excusa:
-Je suis désolé, mon vieux. J'ai essayé de prendre ta place mais elle n'a pas...
-Pas grave, j'en suis quitte pour une semaine de labeur, ça me changera de la pêche.
-Tu sais, Gaël, méfie-toi quand même de cette fille, elle est redoutable. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi fort qu'elle.,lui dit Pierre en buvant une gorgée de rhum.
Sylvain lui tendit la main:
-Allez bon courage et reviens nous vite. Peut-être qu'elle te laissera aller �  la taverne...
-Ouais, peut-être. J'essaierai de vous voir le plus vite possible. Il faut que j'y aille maintenant.
Gaël ouvrit la porte, sortit de la taverne et prit le chemin de la maison. Il était curieux de savoir ce qui l'attendait le lendemain.  
« Dernière édition: 03 Octobre 2007 à 13:37:14 par Def »
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« Répondre #7 le: 04 Octobre 2007 à 15:24:01 »

La mission que lui avait confiée le gouverneur de Guadeloupe ne disait rien qui vaille au capitaine Def. Il était en grande difficulté en ce moment, les anglais et les espagnols s'attaquaient souvent aux français dans la région. Une rumeur courant �  Basse-Terre était revenue aux oreilles du capitaine selon laquelle le Roy avait le regard tourné vers les Antilles françaises et s'apprêtait �  remplacer le gouverneur si celui-ci ne rétablissait pas l'autorité de la France dans la Mer des Caraïbes.
Il n'avait pas pu lui dire �  quel type de navire il devait s'attaquer. Il savait juste qu'il était anglais et s'appelait le "Darkfish".
Dès que Def avait eu sa lettre de marque, la "Lune" avait levé l'ancre et mit le cap sur la Guadeloupe. Son capitaine aimait venir relâcher dans ses eaux turquoises et calmes. Cela lui avait également permis de rencontrer le gouverneur pour se voir assigner une mission. Celui-ci lui avait proposé une somme d'argent importante en échange de l'élimination d'un seul navire anglais. Def avait tout de suite accepté et ils étaient partis rejoindre Saint Kitts, lieu où était supposé croiser le "Darkfish".Maintenant qu'il était en mer, il était inquiet. Accepter une mission �  l'aveuglette était risqué. Enfin bon, advienne que pourra. Ces derniers temps, Def et son équipage avaient volé de victoire en victoire. Il suffisait d'être prudent et malin. Il parcourut sa cabine du regard. Il faisait nuit et les bougies donnaient une atmosphère chaleureuse �  la pièce. Le capitaine s'assit sur son lit. Il avait donné l'ordre �  l'équipage de garder une vigilance maximale et celui-ci était paré �  rejoindre son poste de combat �  toute heure. La "Lune" était prête �  combattre, la mission se passerait bien.
Le lendemain, la mer était calme, le soleil brillait �  travers quelques cumulus, c'était une belle journée. Le capitaine parcourait son navire de fond  en comble pour discuter avec les marins, se mettre au courant des problèmes, prendre des nouvelles du mousse embarqué �  Pointe-� -Pitre. Il aimait se sentir proche de ses hommes, il savait qu'un chef aimé soudait l'équipage et pouvait l'emmener �  toutes les batailles. C'est pourquoi il prenait le temps de partager une bouteille de rhum de temps en temps avec ses hommes. Def descendit dans la cale pour vérifier l'arrimage de la cargaison. Ils commençaient �  manquer de place. Depuis quelque temps, ils accumulaient les lingôts d'argent et les marchandises qu'ils n'avaient pas réussi �  vendre faute de moyens de la part des tenanciers d'échoppes. Il faudrait de toute façon qu'ils arrivent �  les vendre.
Au moment où le capitaine descendait dans la cale, Jean, le matelot qui était de quart �  la vigie commençait �  fatiguer. Il avait mal aux yeux �  force de scruter l'horizon en plein soleil. Pourtant, il aimait faire la vigie. Il était tranquille l� -haut, seul sous le ciel, �  profiter du vent et de la vue. La vigie, c'était la liberté. Bien sûr, il aimait être marin, sentir le pont vaciller sous ses pieds. Il aimait ressentir l'excitation du départ lorsqu'il doublait les feux de Saint-Malo. Mais la vigie était le summum du plaisir du matelot Jean. Oui, rien de tel que d'être au sommet de ce mât pour penser �  la fille qui l'avait réconforté �  Grenade et �  qui il avait promis de revenir très vite.
   
« Dernière édition: 11 Octobre 2007 à 17:25:19 par Def »
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« Répondre #8 le: 05 Octobre 2007 à 14:26:05 »

Il en était l�  de ses réflexions lorsqu'il aperçut une bosse, droit devant, sur l'horizon. Quand il fut sûr de lui, il se pencha vers le pont et cria:
-NAVIRE !! NAVIRE EN VUE DROIT DEVANT !!!
Aussitôt, il vit le pont se remplir de marins courant vers l'avant. Il était impossible de savoir de quelle nationalité était ce bâteau. Jean vit le capitaine sous le mât s'avancer, lui aussi, avec sa longue-vue. Il cria:
-Mangeon, prenez la barre et maintenez le cap sur ce navire !
M. Mangeon, le second, courut empoigner la barre. Jean n'aimait pas trop le second, il le trouvait un peu trop lèche-bottes envers le capitaine et il semblait mépriser l'équipage. Il savait qu'au fond, ce n'était pas vrai mais c'était l'impression qui ressortait lorsque l'on discutait avec lui.
La vigie regarda de nouveau le capitaine. Il lui trouvait un air bizarre, ces derniers temps. Comme s'il était ailleurs... Et l� , il était pâle, les yeux dans le vague. Jean n'aimait pas ça. Il reporta ses yeux sur le navire inconnu qui grossissait �  vue d'oeil. Et Jean vit quel bâteau c'était:
-Mon Dieu, c'est...

"Un manowar, se dit le capitaine Def, l'oeil droit collé dans sa longue-vue. C'est ce que je craignais. Espérons que ce ne soit pas notre cible."
Il restait l'oeil rivé �  la longue-vue pour ne pas perdre un détail du navire qui approchait rapidement. Il regarda ses voiles très larges, ses deux rangées de canons dépassant de chaque côté, sa proue fendant les vagues évoquant la puissance d'un cheval au galop. C'était un beau navire et certainement très difficile �  vaincre. Quelque chose monta sur le mât. Ils hissaient le pavillon, il allait enfin savoir. Croix rouge sur fond blanc, des anglais. Def était sûr qu'il s'agissait de leur cible. Ils hissaient un autre pavillon. Un jaune, celui-l� . Lorsqu'il claqua au vent, il n'y eut plus de doute possible: sur le fond jaune se détachait la silhouette d'un poisson noir. Ce navire était bien le "Darkfish".
"Ce foutu gouverneur nous a envoyé couler un manowar. Si nous en arrivons �  bout, je jure devant Dieu de l'égorger de mes propres mains." La brigantine de Def était bien armée et bien servie mais il allait falloir jouer très serré s'il espèrait vaincre. Car l'anglais les avait vus et fonçait droit sur la "Lune".
-Envoyez les pavillons., dit Def �  son second, qui se tenait �  côté de lui.
Celui-ci regarda son capitaine, inquiet.
-Capitaine, c'est un manowar et nous...
-Ce sera tout, M.Mangeon, envoyez les pavillons, nous avons reçu pour mission de couler ce navire et c'est ce que j'ai l'intention de faire alors dépêchez-vous.
Mangeon s'exécuta. Bientôt, le pavillon �  la tête de mort sur fond d'hermine claqua fièrement au côté des fleurs de lys de celui de la France.
Il n'y avait plus de doute possible, le combat allait être engagé.  
« Dernière édition: 11 Octobre 2007 à 17:29:38 par Def »
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« Répondre #9 le: 11 Octobre 2007 à 14:00:18 »

-BRANLE-BAS DE COMBAT !!
A cet ordre, le second empoigna son sifflet et joua deux notes aigües. Le pont se mit rapidement en effervescence. Deux matelots descendirent dans la réserve de munitions et préparèrent mousquets et pistolets. Les canonniers rejoignirent leur postes et, un �  un, les mantelets de sabord s'ouvrirent. Les palans actionnés par les matelots firent résonner leur cliquetis métallique dans les deux ponts du navire. Les gabiers montèrent en haut des mats et se tinrent prêts �  manoeuvrer.
Le manowar avançait droit sur la "Lune". Ses quatre rangées de canons s'en détachaient nettement de part et d'autre sur le ciel sans nuage du large de Saint-Kitts.
-Préparez-vous �  virer �  bâbord, 90°.
-Bien capitaine.
Il fallait attendre le bon moment, celui où le manowar commencerait �  virer. La brigantine étant plus maniable, elle placerait ses canons en position de tir et arroserait le pont avant que celui-ci ne puisse l'aligner.
Le manowar continuait d'avancer droit sur le navire français.
-BARRE A BABORD, VITE !!
-Barre �  babord, 90, Bien capitaine !
Le manowar n'avait pas l'intention de virer, il voulait écraser la "Lune" bord �  bord.
"Non, je ne te donnerai pas cette chance..."
-Canonniers �  tribord, parés �  tirer ?
-Les canonniers sont parés, capitaine., dit le maître artilleur.
La "Lune" virait lentement, trop lentement pour Def.
"Allez, vire, vire !!"
Le manowar n'était plus qu'�  quelques centaines de mètres et l'on pouvait distinguer les marins anglais sur le pont préparant l'abordage et les gabiers amenant les voiles.
-TRIBORD, FEU !!
Les trente canons de tribord crachèrent tous en même temps. Aussitôt, une épaisse fumée s'éleva occultant partiellement le "Darkfish" �  la vue de l'équipage.
Le capitaine vit �  la longue-vue des boulets écorcher la coque au-dessus de la ligne de flottaison. Ceux qui rasaient le pont firent quelques dégâts parmi les anglais mais sitôt la bordée passée, il en vint d'autres, qui s'étaient abrités dans le bâtiment.
Cette bordée n'était qu'un amuse-gueule pour le Darkfish qui commença �  virer sur bâbord.
-Attention !! Abritez-vous !!!
Des éclairs crépitèrent sur les flancs du monstre. Ils entendirent siffler les premiers boulets au-dessus de leurs têtes. Puis ce fut le carnage. On entendit des voiles se déchirer, le capitaine leva les yeux et sut qu'il avait fait une erreur en attaquant cet anglais. Toutes les voiles étaient touchées.
"Des boulets ramés... C'est pour ça qu'ils ont attendus le dernier moment."
Les deux perroqués explosèrent en même temps, projetant les marins hurlant qui y étaient accrochés. Les mâts tombèrent sur les huniers achevant de déchirer leurs voiles. Sur le pont, l'équipage eut droit �  un avant-goût de l'enfer car il n'y avait pas que des boulets ramés. Les anglais avaient également visé au ras du pont. Les pauvres hommes qui n'avaient pas eu le temps de trouver un abri furent balayés par les boulets qui tranchaient indistinctement têtes, bras et jambes qui se trouvaient sur leur passage. Seuls les canonniers s'en sortirent correctement. Sept boulets trouèrent la coque écrasant systématiquement les pauvres hommes qui se trouvaient derrière, rechargeant leur pièce.
La "Lune" continuait �  virer et plaça le manowar dans son dos. Le capitaine n'avait plus le choix, il fallait prendre de la distance.
-Barre �  0 !! Ramassez les blessés et amenez-les dans le premier pont !!
-Bien capitaine !!
Les hommes valides s'empressèrent d'emmener leurs camarades vivants ou morts dans l'entrepont. Les blessés s'y entassaient et, malgré la puanteur qui y régnait, le toubib s'affairait autour de chacun en murmurant des paroles réconfortantes �  ses patients.
Le capitaine l'observa un court instant avant de courir �  l'arrière guetter la réaction du manowar. De nouveau, des éclairs illuminèrent le flanc du navire.
-ATTENTION !!!
La bordée fit moins de dégâts que la précédente. Plus de la moitié des boulets anglais passèrent de part et d'autre de la "Lune". Cependant, le deuxième pont subit de plein fouet la vague de feu. Des cris s'élevèrent sous les pieds du capitaine.
Celui-ci regarda son second, qui se tenait derrière lui, les yeux brillants.
-Capitaine, nous n'avons aucune chance contre lui, il faut l'aborder où nous y passerons tous...
Il tenait la barre dans sa main gauche et un sabre dans la droite.
-Vous avez raison, second., lui répondit le capitaine en empoignant le sabre qui pendait �  son côté.
-La barre �  babord toute, nous faisons demi-tour !
Mangeont fit tourner la barre jusqu'�  la butée. Aussitôt, le navire fit une embardée sur la gauche et commença �  virer lentement.
-AFFALEZ LES VOILES !!
Il ne fallait pas que la "Lune" coupe la route du "Darkfish" si elle ne voulait pas se faire éperonner. Celui-ci virait �  tribord. Le capitaine fit serrer le virage au plus près jusqu'�  ce que le manowar soit droit devant.
-La barre �  0. Canonniers �  tribord, parés �  tirer ?
Le maître artilleur répondit:
-Les canonniers sont parés, capitaine.
Cette bordée allait être la dernière avant l'abordage. Le "Darkfish" grossissait �  vue d'oeil, il avait amené les voiles et n'avançait plus que par inertie. Lui aussi préparait sa dernière bordée.
   
« Dernière édition: 11 Octobre 2007 à 17:32:43 par Def »
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« Répondre #10 le: 12 Octobre 2007 à 14:26:38 »

Les deux navires étaient si près qu'on aurait dit qu'ils allaient entrer en collision. Du coup, le capitaine avait renoncé �  faire tirer les canons du pont inférieur, il valait mieux que les canonniers se préparent �  l'abordage sur le pont plutôt que de se faire décimer en tentant d'endommager le mastodonte qui se dressait devant eux. Le capitaine avait fait charger les canons avec de la mitraille et prévenu les canonniers du pont supérieur de se préparer �  aborder dès qu'ils auraient tiré.
Le manowar n'était plus qu'�  quelques dizaines de mètres de la proue de la "Lune".
-Artilleur, faites monter les servants des quinze canons côté proue, qu'ils se préparent �  aborder. A mon commandement, vous ferez tirer les autres chacun �  son tour avec un intervalle de cinq secondes en commençant par la proue. Ensuite, en remontant, qu'ils prennent chacun un pistolet et se placent derrière les lanceurs de grappin pour l'abordage.
-Bien capitaine !
Le maître artilleur fit passer les consignes dans l'entrepont. Def jeta un oeil sur le navire ennemi. Les anglais se préparaient �  l'abordage. Au vu de l'agitation dans les ponts inférieurs, ils avaient l'intention de lâcher une bordée �  bout portant. Le capitaine sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. La "Lune" ne s'en relèverait pas. Elle était déj�  mal en point, deux de ses mâts étaient décapités et ses voiles �  moitié déchirées. La prochaine bordée l'enverrait par le fond. Le capitaine s'adressa �  l'équipage qui attendait fiévreux sur le pont:
-Matelots !! Cet anglais va nous canonner �  bout portant et je ne peux vous cacher ce qu'il se passera: c'est la fin de la route pour la "Lune". C'est pourquoi nous allons lancer les grappins avant d'être de face. Dès que vous le pouvez, sautez sur le navire et tuez le plus d'anglais possible. Ce ne sera pas facile mais, dès qu'ils auront tiré, la "Lune" coulera. J'ai demandé aux canonniers de tirer une dernière fois �  la mitraille pour vous dégager la voie. Messieurs, notre futur navire se trouve devant nous, nous n'avons pas d'autre choix que de vaincre ou mourir, je compte sur vous !!
Les matelots poussèrent leur cri de guerre, galvanisés par le discours du capitaine:
-Pour le Roy et la France !!
Def fut impressionné. Malgré la peur qu'il pouvait sentir chez ses hommes, aucun ne faillirait, ils se battraient tous jusqu'�  la mort. Def vérifia les deux pistolets passés dans sa ceinture de cuir. Ils étaient chargés, parfait. Il passa le doigt sur la lame de son sabre, aujourd'hui allait couler le sang.
C'est �  ce moment que les deux navires commencèrent �  se croiser �  une vingtaine de mètres.
-Lancez les grappins !!, cria le second.
Aussitôt fusèrent une dizaine de grappins qui atterrirent derrière la rambarde du manowar, manquant de peu pour certains les soldats anglais qui se trouvaient derrière.
-ALLEZ SOUQUEZ !!!
Le second courut aider les marins �  tirer les grappins rapprochant petit �  petit la "Lune" du manowar. Le capitaine lança l'ordre:
-ARTILLEUR !! FEU !!!
Le premier canon fit feu bientôt suivi par ses voisins. Au fur et �  mesure des tirs, les équipes de servants remontaient de l'entrepont, s'armaient et rejoignaient l'équipage déj�  prêt au combat. Le timing était parfait. La première salve avait fauché une dizaine de soldats anglais alignés du côté de la poupe du "Darkfish". Trois d'entre eux avaient reçu la mitraille en pleine figure et leur visage avait été arraché. Deux autres s'étaient écroulés en avant tombant sur les canons qui saillaient en contrebas. Les salves suivantes éclaircirent un peu plus les rangs anglais. Maintenant que la brigantine s'était rapprochée, Def distinguait le commandant du navire. Il se tenait au milieu du pont entouré de deux de ses officiers. Leur uniforme était impeccable. Leur perruque blanche poudrée, sabre au côté, ils regardaient la "Lune" se rapprocher de leur navire comme un pêcheur regarde un poisson tourner autour de l'appât qu'il a mis au bout de sa ligne.
"Pendards d'anglais, je vais vous faire regretter ce que vous avez fait �  mon navire...", se disait Def lorsqu'il vit le commandant ennemi lever le bras droit. C'était le moment qu'il redoutait: le coup de grâce de la "Lune". Il se tourna aussitôt vers l'homme qui se tenait derrière lui:
-ARTILLEUR !!! FAITES REMONTER TOUT LE MONDE, VITE !!
Le maître artilleur aboya un ordre et les marins valides qui étaient restés surgirent de l'entrepont. Les blessés avaient été transportés dans les chaloupes. Celles-ci avaient été détachées par le toubib et quelques matelots, qui partiraient pour les manoeuvrer. Il ne restait donc plus personne dans les cales de la "Lune". Les deux navires étaient �  deux mètres l'un de l'autre.
Le commandant anglais abaissa son bras en hurlant:
-FIRE !!!
Au même moment, Def, dans un vibrant cri de rage, cria �  l'équipage:
-A L'ABORDAGE !!!!
Pendant que les marins français sautaient sur le pont du "Darkfish", ses canons rugirent une dernière fois dans une explosion assourdissante détruisant la coque de la "Lune". Le bâteau roula dans un premier temps sur bâbord puis revint sur tribord bousculant le manowar et les anglais qui tiraient sur la vague française déferlant sur eux, une chance pour l'équipage de la brigantine car ils avaient sauté juste devant les anglais et offraient tous une cible superbe aux mousquets de la perfide Albion. Néanmoins, nombre de ceux qui étaient partis en premier périrent, cueillis en plein vol par les balles qui leur déchiquetèrent les chairs. Puis la "Lune" prit de plus en plus de gîte sur tribord. Def s'adressa une dernière fois au médecin:
-Docteur, larguez les amarres, je vous confie le commandement des chaloupes. Dès que vous serez �  l'eau, ramez ferme vers l'ouest, vous devriez arriver sur les terres. Bonne chance et ne trainez pas !
Le docteur prit son chapeau �  la main, s'inclina et lui répondit:
-Merci capitaine et bon vent �  vous !
Puis il s'élança vers les chaloupes. Le capitaine le regarda partir, attrapa une drisse et sauta sur le "Darkfish", sabre en avant. Il atterrit dans le dos d'un soldat anglais qui était occupé �  viser de son mousquet un des matelots de la "Lune" qui tenait tête �  un officier. Il lui planta son sabre en plein dans le coeur. Def lâcha la corde et se rétablit lourdement sur le pont. Il se retourna et esquiva de justesse la baïonnette qu'un anglais tendait vers lui. Il attrapa le soldat par derrière et lui passa la lame de son sabre sur la gorge puis il lâcha l'anglais qui s'écroula en émettant des gargouillements écoeurants. Tout en combattant, Def essaya de retrouver ses officiers et repéra Mangeon sur le gaillard d'arrière qui embrochait un �  un les marins qui couraient vers lui. Le second se battait comme un lion et il n'avait pas l'air d'avoir besoin d'aide. Def repéra également le bosco. Celui-ci commençait �  être submergé par le nombre. Son bras gauche pendait, inerte, pendant que le droit faisait des moulinets avec son sabre face �  trois anglais qui l'acculaient contre un mur. Le capitaine courut vers lui. De la main gauche, il sortit l'un de ses pistolets et de la droite se fraya un chemin parmi les soldats ennemis qui tentaient de lui barrer le passage. Il ajusta le soldat qui était le plus près du bosco et appuya sur la détente. La tête de l'anglais explosa comme un melon. Ses camarades se retournèrent pour apercevoir le capitaine fonçant sur eux, sabre en avant, les yeux pleins de rage. Ils n'eurent pas le temps de réagir. Le premier reçut le sabre de Def dans l'oeil droit et le second fut transpercé par le bosco dans le dos. Ils s'effondrèrent l'un sur l'autre. Le maître d'équipage regarda le capitaine, une lueur de reconnaissance dans les yeux:
-Merci capitaine, vous m'avez sauvé...
-Venez, Bosco, tentons de rejoindre le gaillard d'arrière et allons prêter main-forte �  Mangeon.
Le capitaine s'élança sans écouter le discours de remerciements du maître d'équipage, qui le suivit immédiatent en protégeant ses arrières. Def vérifia qu'il le suivait bien et courut vers le second autour duquel s'était rassemblée une dizaine de matelots français qui luttaient pour leur vie contre des anglais qui semblaient ne pas faiblir. Soudain, ce fut le choc: le capitaine ressentit une vive douleur �  l'arrière du crâne, ses forces l'abandonnèrent et il n'eut que le temps de penser, en s'écroulant sur le pont du "Darkfish":
"C'est terminé pour moi..."  
« Dernière édition: 23 Octobre 2007 à 17:47:07 par Def »
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« Répondre #11 le: 31 Octobre 2007 à 16:14:25 »

Jean avait fait partie des derniers �  aborder le "Darkfish". Bien lui en avait pris car il avait vu ses camarades se faire fusiller �  bout portant lorsque le capitaine avait donné l'ordre de sauter. Déj� , il avait échappé de peu �  la mort lorsqu'il était descendu de la vigie juste avant que le navire anglais ne tire la première bordée qui avait tant dévasté la "Lune". Puis il s'était armé comme les autres: un pistolet chargé dans la main gauche et son sabre d'abordage dans la droite et avait attendu le moment fatidique en essayant d'éviter les projectiles qui continuaient de pleuvoir sur le pont. Le capitaine avait donné l'ordre d'attaquer au moment où le "Darkfish" tirait sa dernière bordée. Le coup de roulis qui s'en était suivi déséquilibra Jean qui tomba sur une lanterne qui trainait derrière. Peut-être que cette chute lui sauva la vie car il entendit les balles de mousquets siffler au-dessus de sa tête. Il s'était ensuite relevé au moment où la "Lune" basculait sur l'autre bord, et, profitant de l'élan qu'elle lui procurait, avait sauté sur le pont du "Darkfish". Un soldat anglais l'avait vu et s'apprêtait �  le cueillir de son sabre au moment où il atterrirait. Jean, qui n'était pas du tout prêt �  mourir, se laissa tomber �  plat ventre. Le choc lui coupa le souffle mais il réussit �  planter son sabre dans le pied de l'anglais qui poussa un cri de douleur. Profitant de sa surprise, le matelot français s'accroupit rapidement et enfonça son sabre dans la poitrine de son adversaire jusqu'�  la garde. Il dut s'y reprendre �  deux fois pour récupérer son arme. Il se retourna immédiatement pour parer �  toute attaque par derrière mais il ne trouva que le bosco qui lui fit signe de l'accompagner près de la porte des cabines, l�  où ils pourraient combattre sans avoir besoin de surveiller leurs arrières.
Il suivit le bosco, tous deux se frayant un chemin �  coups de sabre dans la horde de soldats anglais qui se ruait sur eux. Ce n'était pas le premier combat de Jean mais aucun de ceux qu'il n'avait vécu n'avait un enjeu plus important. Ils devaient vaincre ou périr. Ses sens s'en trouvaient aiguisés, il restait constamment concentré et tuait rapidement et efficacement. Ils atteignirent en courant le mur en bois des cabines et se retournèrent face aux adversaires qui les poursuivaient. Dos �  dos, le bosco et Jean embrochaient les marins anglais qui s'avançaient. Neuf soldats les entouraient mais ils n'arrivaient pas �  les faire plier. Les deux français étaient rapides et chacune de leurs attaques affaiblissait l'ennemi. Mais ils se fatiguaient et les anglais finirent par réussir �  les séparer. Le bosco se laissait entraîner vers le côté tribord du navire tandis que ses adversaires repoussaient Jean vers le côté bâbord, sans doute dans le but de le faire passer par-dessus bord. Tout en surveillant le bosco du coin de l'oeil, il tenta de retourner la situation en redoublant d'effort. Les quatre anglais attaquaient en même temps et Jean devait esquiver tout en parant et cela ne lui laissait guère le temps d'attaquer. Derrière ses adversaires, il vit un officier anglais prendre un pistolet et viser le bosco. Le coup partit et le maître d'équipage, qui avait réussi �  mettre �  terre un de ses adversaires poussa un cri de douleur et fut projeté contre le mur derrière lui. Du sang gicla aussitôt de son bras gauche. Un des anglais, sans doute plus téméraire que ses camarades, en profita pour tenter de planter son sabre dans la gorge. Mal lui en prit car le bosco était encore vigoureux. Voyant le danger, il s'accroupit rapidement et enfonça son sabre dans le menton de l'imprudent qui s'écroula sur le pont.
Voyant que l'officier anglais rechargeaient son pistolet, Jean chargea ses quatre adversaires en faisant des moulinets de son sabre. Surpris de ce regain d'énergie, ils reculèrent en bousculant l'officier qui se tenait derrière eux. Jean se fendit et réussit �  atteindre l'officier dans le dos qui s'effondra en poussant un cri de douleur. En ramenant son sabre, il passa la lame sur la gorge d'un jeune soldat qui ne devait pas avoir plus de dix-neuf ans. C'est alors qu'il vit le capitaine Def tirer �  bout portant sur l'un des adversaires du bosco. Tout allait bien pour le moment, il redoubla d'énergie face �  ses trois adversaires. Il réussit �  en blesser un au bras qui se jeta �  terre et courut se mettre �  l'abri. Les deux autres étaient encore vigoureux. Jean vit qu'il se trouvait près des drisses du mât d'artimon. Ses voiles étaient �  moitié amenées mais Jean n'hésita pas. Il se retourna, attrapa l'une d'elle et de son sabre la coupa net. Il fut aussitôt projeté vers le haut, la voile qui tombait sur le pont faisant contrepoids. Impuissant, il ne put que regarder la vergue tomber sur le capitaine Def et celui-ci s'écrouler, touché �  la tête alors qu'il courait devant le bosco. Celui-ci passa aussitôt son bras autour de ses épaules et emmena le capitaine vers le gaillard d'arrière. Jean vit qu'il ne pourrait pas se défendre s'il était attaqué. Il sauta derrière ses deux adversaires qui avaient assisté �  la scène et qui s'étaient détournés de lui pour tenter de ramener un plus beau trophée. Son sabre les traversa de part en part et il se plaça devant le bosco.
-Désolé, chef, c'est de ma faute si le cap...
-La ferme, matelot, retourne-toi et ouvre l'oeil. Nous allons rejoindre le second et continuer le combat, tiens, prends l'autre bras. Il a beau être capitaine, il pèse son poids, le bestiau.
Jean aida le maître d'équipage et les traina vers le reste de l'équipage qui s'était rassemblé autour de Mangeon. Sur les deux-cent-soixante hommes d'équipage qui composaient la "Lune", il n'en restait qu'une vingtaine, trente tout au plus. Et parmi les neuf officiers du bord, il n'en restait que trois: le capitaine, le second et le bosco.
Les anglais avaient acculé les français sur le gaillard d'arrière et continuaient �  maintenir la pression. Le second se battait comme un diable en encourageant ses hommes. Lorsqu'il vit le capitaine entre Jean et le bosco, il eut un choc. Le capitaine était au tapis. Il devait conduire l'équipage.
-Allez les gars, étripons ces anglais jusqu'au dernier !! Ce soir, nous fêterons la victoire autour d'une bonne chopine !!
Le capitaine fut déposé le dos contre le bastingage par Jean qui rejoignit aussitôt le bosco. L'équipage de la "Lune" était maintenant encerclé par les anglais. Il n'y avait plus beaucoup d'espoir de victoire mais Mangeon ne voulait pas se rendre. Il haranguait ses hommes, tout en jouant du sabre avec efficacité, plantant son sabre par-ci, égorgeant par-l� :
-On ne faiblit pas ! Nous nous battons pour le Roy, pour la France et pour le bon droit. Tuez ces maudits anglais, abattez-les comme des ch...
Mangeon fut projeté, l'arrière de son crâne explosa et il tomba sur le pont, frappé en pleine tête par une balle de pistolet. Les combats cessèrent immédiatement et tout le monde vit l'homme qui avait tiré. Grand, l'air digne des nobles anglais, il portait un uniforme rouge et blanc et son sabre doré brillait �  son côté. Sa perruque était soigneusement poudrée et aucune poussière ne venait gâcher l'harmonie de son apparence. Sur la poitrine gauche, il arborait fièrement deux rangées de médailles gagnées au service de la couronne britannique. Ses yeux bleus clairs ajoutés �  ses fins sourcils en pointe lui conféraient un air d'une rare sévérité et sa bouche pincée venait renforcer cette impression de dureté qu'eurent les marins français survivants lorsqu'ils virent de près le capitaine anglais. Il ne paraissait pas vieux, la trentaine tout au plus, mais ses yeux trahissaient une expérience de la mer et des combats dont peu de gens sur ce navire pouvaient se vanter.
Dans un français impeccable, quoiqu'avec un fort accent, il s'adressa �  l'équipage de la "Lune":
-Je suis Lord Brettinger, capitaine du "Darkfish". Messieurs, vous êtes battus, je vous somme de vous rendre, auquel cas il ne vous sera fait aucun mal. Vous serez traités en prisonniers de guerre et jugés par un tribunal anglais qui décidera de votre sort. Dans le cas contraire, vous serez tous abattus comme les fils de chien que vous êtes. Messieurs, que décidez-vous ?, dit-il en insistant particulièrement sur le mot "chien".
Le bosco s'avança au mileu de ses camarades inquiets, sentant la tension et la responsabilité qui lui tombait sur les épaules. Il se tint les bras croisés devant le capitaine anglais et le regarda dans les yeux.
-C'est vous le capitaine ?, lui demanda l'anglais.
-Je suis le capitaine tant que le capitaine Def sera inconscient.
-Très bien, que décidez-vous ?
Le bosco se retourna et regarda ses camarades qui attendaient, anxieux. Sa décision était prise, il regarda droit devant lui:
-Nous nous rendons.
-Bien, dit le Lord en se retournant vers ses soldats, keep them alive down in the hold.
Puis, semblant réfléchir, il s'adressa au maître d'équipage:
-Quel est votre nom et votre grade, matelot ?
-Je me nomme Henri Desfaux, je suis le maître d'équipage.
-Ah, répondit l'anglais d'un air ennuyé, et où est votre capitaine ?
Le bosco tendit le doigt vers le bastingage derrière lui:
-Il est ici, capitaine.
L'anglais s'approcha de Def, qui se trouvait allongé encore inconscient. Il l'examina longuement puis se tourna vers ses soldats:
-Bring him in my cabin and bring some eggs and bacon with bread for two persons. And march the others down in the hold right now !
Deux soldats prirent le capitaine Def par les bras et l'emmenèrent vers les cabines. Les autres firent mettre en rang les survivants de la brigantine et leur attachèrent les pieds et les mains. Un grand silence s'était abattu sur les vaincus de la bataille. Les corps de nombre de leurs amis jonchaient le pont du "Darkfish". Les anglais commençaient �  les jeter par-dessus bord. C'était la loi de la mer. Découragés, en descendant dans la cale du navire, ils ne pouvaient s'empêcher de pleurer car ils savaient tous qu'ils allaient traverser un long calvaire.  
« Dernière édition: 31 Octobre 2007 à 17:14:49 par Def »
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