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« le: 26 Novembre 2008 à 00:36:25 » |
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Leeroy en venait � regretter la fraicheur de son île natale. Depuis une semaine qu'il était � pourrir, seul, au fond d'une gigantesque mais pourtant bien solide prison il avait eut le temps de fouiller sa mémoire. Il s'était rafraichit au bord de falaise onirique battue par les embruns glacés du large, mais même de tels songes finissaient par être perturbés par le chant inconnu d'un oiseau ou le vol bruyant d'un insecte gros comme un rouge-gorge. Assis sur la paille maintes fois souillée, le dos calé entre les barreaux de sa cellule il remonta une fois de plus les mécanismes de sa mémoire.
Au début, il s'était pris � rêver que la bonne étoile de son frère veillait aussi sur lui. Le navire sur lequel il voyageait, Le Fervente une lourde goélette, franche du collier mais paresseuse au près, avait maintes fois fait la traversée. Sa cargaison était simple, tout ce dont les colonies étaient encore incapables de produire, rien de bien précieux, de l'horlogerie fine, des lentilles du plus bel ovale, des galons pour les nouveaux gradés et le courrier de l'amirauté dûment codé et caché dans la cabine du capitaine. Ce dernier justement était un tortionnaire de la pire espèce qui perdait la moitié de son équipage � chaque escale. Les seuls qui lui étaient resté fidèles n'avait aucun intérêt � descendre � terre si ce n'est pour se faire attraper par des huissiers, des soldats ou bien pire des femmes cocufiées. L'atmosphère se dégrada bien rapidement malgré la bonne course du navire et les prétendants au caillebotis furent nombreux. Le capitaine Abrahams, un gros quadragénaire au cheveux rare, prenait un malin plaisir � assister � ces séances de tortures hebdomadaires � laquelle Leeroy fut lui aussi soumis après une bagarre un peu trop musclée. Ce fut O'brian, un grand noir dont la famille, depuis qu'elle eut été arrachée � sa terre était au service de l'Union Jack, qui lui banda le dos sanguinolent. Une fois son office fini qu'il lâcha la phrase fatidique. " Quand on sera en vue des côtes de Cuba, il passera par dessus bord " La violence contenue qui s'échappa de ses grosses lèvres fit frissonner Leeroy alors qu'il se rhabillait. Il eut juste le temps de saisir un éclair de colère dans ses yeux d'habitudes inexpressifs pour comprendre qu'il ne bluffait pas. Les alizés soufflaient fort et aucun anticyclone de vint perturber leur route si bien qu'en deux semaines ils avaient parcouru une bonne partie du chemin.
Deux rats couinèrent de l'autre coté des barreaux, tournant la tête, le jeune anglais les vit se battre furieusement, leurs dents jaunes et hideuses se plantaient avec haine dans la fourrure graisseuse et leurs griffes volaient en tout sens. Finalement l'un des deux couina plus fort que l'autre et s'enfuit dans un recoin sombre. Leeroy aussi avait dû se faire respecter et cela même après la statu quo imposé par le chat � neufs queues.
Sur La Fervente, il avait été assigné au deuxième quart et était par défaut tribordais, car malgré ses allures de gros navire marchand, la goélette était armée de quatorze pièces de 12 livres et deux pièces de chasse � la proue. Les exercices de tir étaient rares mais le gras capitaine insistait sur le fait que toutes les jeunes recrues devaient connaître l'odeur de la poudre et grimper jusqu'au plus hautes flèches. Des deux, Leeroy, était déj� bien familier. Fils de pêcheur, un peu contrebandier comme tous les îliens, il avait déj� navigué par les pires temps dans la Manche. Quant � la poudre, il s'était bien vite aperçu qu'il y était très doué et avait mis un point d'honneur � toujours avoir un pistolet sur lui. Il se souvenait encore de sa joie lorsqu'il avait volé son premier au nez et � la barbe d'un garde-chiourne ivre. Il avait abattu une dizaine de personnes sans jamais flancher et s'était taillé une belle réputation parmi la racaille du port et de la prison. Hélas posséder une arme et s'en servir quand on est un manant a aussi de mauvais coté. Ce fut donc lors d'un souper particulièrement arrosé où O'brian, second du maître d'équipage, avait distribué une double ration de tafia qu'il gagna sa place � bord. Les bâbordais et les tribordais s'invectivaient mutuellement, faisant ressurgir de leurs mémoires embrumées des souvenirs plus ou moins dégradants pour l'autre camp jusqu'au moment où l'on accusa les nouveaux venus dans les deux camps. Les paroles montèrent d'un cran et trois anciens paysans bâbordais commencèrent � copieusement insulter ces "voleurs d'îliens milles fois maudits par leurs chiennes de mère et leurs pédérastes de pères". Leeroy n'eut pas le temps de réagir qu'un tribordais originaire d'Ouessant envoya valser son banc droit dans la tête d'un des cul-terreux. Les deux camps allaient se jeter les uns sur les autres quand le bosco fit son apparition. Mr Dickens, Ryan pour les gars, était un Londonien courtaud, taillé dans la granit, capable d'épicer un cordage avec les pieds tout en étalant d'un direct de ses poings monstrueux un taureau en pleine course. Sa simple présence calma l'entrepont. Il proposa alors que les terriens règlent leurs problèmes entre eux et bientôt l'un des paysans se leva retroussa ses manches révélant ses biceps de laboureur. Seul îlien, Leeroy se leva et s'approcha déterminé. Ryan récupéra alors quatre couteaux plantés dans la table et leur distribua. Arguant que sur ce bateau on ne se comportait pas comme ces barbares d'irlandais, il posa sa chopine sur un coffre � l'autre bout de l'entrepont et les mis au défis de le toucher. De plus si le capitaine voyait certain de ses hommes salement amoché, quelqu'un devrait payé et le bosco n'avait aucune envie que le maître d'équipage, irlandais de surcroît, s'en prenne par la suite � O'brian. Frustré de ne pouvoir en découdre si facilement le paysan lança son couteau si fort qu'il alla se planter dans une des membrures du navire � plus d'un mètre du coffre. La bateau roulait légèrement et Leeroy, saoul lui aussi, n'y fit pas attention, son couteau se figea directement dans le coffre. Un soupir emplit l'espace et l'atmosphère devint soudain lourde. Cela n'avait l'air de rien, deux marins ivres lançant des couteaux encore gras du souper sur un boc vide mais pour les gars, s'était la coutume, il fallait que les nouveaux s'affrontent d'une manière ou d'une autre. Par une mystérieuse intervention divine le second lancé du terrien passa juste au-dessus de la chopine et c'est avec un sourire niais qu'il se tourna vers le jeune tribordais. Celui-ci ne fit pas la même erreur et attendit que la bateau fut dans un creux pour lancer son arme. Relaxant son poignet comme lui seul savait le faire lorsqu'il donnait la mort distance il envoya la lame qui alla se figer avec une vitesse aveuglante en plein dans la chope qui tomba dans un bruit sourd.
Bien qu'on le laissa tranquille la tension � bord ne diminua pas, bien au contraire, quelque chose se tramait et même le capitaine s'en rendit compte. Désormais il ne cachait plus une arme sous son oreiller mais deux, deux pistolets chargés et son épée � portée de main. Malheureusement pour lui se fut ceux en qui il avait le plus confiance qui le trahir. Un soir où le vent avait dramatiquement faiblit, la rumeur circula dans l'entrepont éveillant les hommes. Ryan, O'Brian, Peterson le pilote ainsi que le rude charpentier Lavard avaient groupé derrière eux la majorité de l'équipage. Contre eux se dressait bien évidemment le capitaine, le maître d'équipage et son second et lieutenant, donc par voie de conséquence les dix fusiliers de sa majesté. Le rapport de force était largement en faveur des mutins mais il fallait les motiver suffisamment pour qu'ils osent se lever contre leur tyran de capitaine et les soldats de l'Empire. Les motivations se firent surtout � coup � coup de rhum et de promesse de richesses. Finalement ils sortirent tous de leur hamacs, armes en main et remontèrent sur le pont. Les rares hommes de quart en qui les mutins n'avaient pas confiance étaient � leur poste et furent bien vite jeter par dessus bord. Leur cris alertèrent le reste de l'équipage loyal qui, dès qu'il se montra fut copieusement arroser de plomb et transpercer d'acier. Lorsque les traîtres se ruèrent dans les logements des soldats ils les trouvèrent tout affairés � enfiler leur tenue et n'eurent aucun mal � les envoyer voir le Créateur. Seul restait le capitaine et son second, retranchés dans la cabine.
Maintenant qu'il était en prison, Leeroy voyait bien qu'il n'y avait rien de glorieux dans son acte, car lui aussi avait participé. Pas d'affrontement direct, pas de défense possible, juste une froide et logique mise � mort. Mais le mal était fait. Ryan ordonna que l'on emmure l'ancien capitaine et que désormais l'on s'adresse � lui par des Sir ou bien des Capitaine par-ci Capitaine par-là, tout l'équipage rit de ces bouffonneries, de son triomphe et bientôt se saoula � mort. Personne n'entendit les deux détonations venant de la cabine.
Dickens était un piètre navigateur, certes c'était un homme de la mer connaissant ses nœuds mieux qui quiconque mais son autorité n'allait pas au-del� de ses grosses paluches et bientôt se fut le chaos � bord. Connaissant bien ce genre de situation, le jeune anglais se tint � l'écart des palabres, dans l'ombre en compagnie d'O'brian. De leur discussion � voix basse il eut des nouvelles de son frère. Il y avait en effet un fameux et redoutable pirate qui rodait dans les Caraïbes répondant au nom de Gabriel Pacôme.
Encore maintenant au fond de sa moite puanteur il en a le coeur qui bat, son demi-frère est bien vivant, connu, redouté et certainement riche. Si seulement il pouvait venir le chercher.
Ce qu'il advint par la suite � l'équipage pirate fut en quelque sorte le salaire de la trahison. Trop occupé � regarder par dessus leur épaule ils ne virent pas la frégate anglaise s'approcher d'eux sous le vent deux jours plus tard. Et lorsqu'ils réagirent il était déj� trop tard. Ils levèrent bien haut les couleurs anglaises prêt � déblatérer un flot de mensonges plus gros qu'eux pour avoir la vie sauve. Hélas le rusé capitaine anglais repéra la fraude bien avant l'abordage et ce fut un équipage prêt � en découdre qui sauta sur le pont de La Fervente. La confrontation n'eut évidement pas lieu, chaque mutin étant prêt � livrer son frère pour ne pas finir au bout d'une vergue. Par un curieux hasard il se trouva qu'O'brian, cachant décidément bien son jeu, connaissait ledit capitaine pour avoir servit très jeune sous ses ordres et sauva la vie d'une bonne partie de l'équipage en échange d'un compte-rendu détaillé, mais sûrement biaisé, de la mutinerie. Leeroy fut sauvé de la pendaison comme la majeure partie des nouveaux venus, mais le reste de l'équipage se balança en haut des vergues sans autres formes de procès. Son sauveur fut jeté dans la même prison que lui, mais n'y fit qu'un court séjour. Lorsqu'on l'emmena il dit dans un français parfait qu'il transmettrait les hommages du jeune monsieur � son demi-frère. Puis il sourit et disparu.
Il ne crut pas � ces paroles évidement, il savait maintenant que ce descendant d'esclave � l'apparence placide cachait plus d'une carte dans sa manche. Non, il n'y crut pas une seconde jusqu'� ce que soudain l'air de Away, haul away se mit � siffler par l'ouverture de sa geôle. Curieux de savoir quelle espèce d'oiseau pouvait si bien imiter l'homme en cette heure tardive, il s'approcha des barreaux pour y voir surgir la gueule brûlée par le soleil d'un marin. "Alors mon gars on s'est échoué sur un sale récif ? Fais-toi beau le capitaine veut te voir ! "
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