Ce que Scar ne saura jamais...

[Jacquotte]

Matthias Beck, gouverneur de Curaçao, attendait dans son bureau dont la vue imprenable sur le port de la plus riche des colonies des Antilles des Provinces Unies. D'un air pensif, il scute le spectacle qui s'offre �  lui. Sur la place du port, un échafaud est en construction car demain l'on pendra l'un des plus grand ennemi des colonies néerlandaises. Un certain Scar, pirate français �  l'occasion corsaire. Un de ces aventuriers qui pullulent sur l'océan, quelque soit leur nationalité.

* TOC TOC TOC *

On frappe �  la porte. Beck se retourne sans mouvement brusque, comme si la maîtrise de tout était son but ultime.

Entrez!

La porte s'ouvre alors, laissant la place �  une jeune femme blonde de taille plutôt petite et plantureuse. Flanquée de deux gaillards fort bien bâtis, elle est habillée en corsaire. Elle arbore in air décidé et grave.

Le gouverneur prend alors la parole avec une économie de mot digne de sa réputation d'homme inflexible ayant combattu la corruption laisée par son prédécesseur Pieter Stuyvesant qui s'était largement servi dans al traffic d'esclaves capturés au Brésil et revendu �  l'ennemi, l'Espagne.

Capitaine Saskia... pourquoi ne suis-je pas surpris de votre demande d'audience alors que nous nus apprêtons �  pendre ce fâmeux Scar?

La femme ne répondit pas et renvoit ses deux hommes d'un geste, les intimant silencieusement de rester seule avec le gouverneur. Hubrecht, son second marque une hésitation, cherchant �  rester �  ses côtés comme l'homme fidèle qu'il a toujours été. Mais son regard froid et décidé le dissuade finalement.
 
La porte se referme derrière eux, laissant le gouverneur et la corsaire face �  face. Saskia s'avance jusqu'�  la baie vitrée donnant sur la place du port où les préparatifs de l'exécution du lendemain vont bon train. Elle regarde longuement ce spectacle, muette, puis répond enfin.

Peut-être parce que vous êtes un homme perspicace, gouverneur Beck. Et je ne m'attendais pas �  moins venant d'un homme de votre éducation et de votre érudition, chose rare parmi les gouverneurs des Antilles.
   

[Jacquotte]

Le gouverneur, homme d'expérience et avisé, ne répondit pas immédiatement. L'air était emprunt d'un lourd silence fait d'évaluation de l'adversaire et de ses propres chances d'obtenir ce que l'on désire.

Fort bien, répliqua Matthias Beck. Ainsi nous ne perdrons pas de temps. Allons donc à l'essentiel.

Il quitte la baie vitrée et s'assoit �  son bureau, bien confortablement. Saskia, elle, reste debout et fixe l'horizon. Le duel commençait déj�  par les postures. Un duel de haut vol entre deux adversaires éprouvé �  toutes les ruses de négociations. Voyant que la corsaire refusait de se poser en situation d'infériorité en s'asseyant sur la pauvre chaise (trop basse) qui lui était proposée alors que le gouverneur trônait dans son fauteuil, ce dernier a un petit rire sarcastique. Il agite alors une petit cloche, et surgissent alors deux servants avec un lourd fauteuil venant remplacer la pauvre chaise d'origine. Une fois les servants sortis, le gouverneur reprend, sourire narquois aux lèvres.

Il est dangereux d'offenser le gouverneur le plus influent de votrre principal soutien, capitaine. Et vouloir traiter d'égal-� -égal peut apparaître comme tel, savez vous? Vous n'êtes après tout qu'un mercenaire...

Saskia quitte la baie vitrée et s'installe dans le douillet fauteuil, caressant le velour d'un geste nonchalant, ne semblant nullement impressionnée par la remarque du gouverneur.

Dois-je comprendre par cette phrase que vous n'avez plus besoin de mes services, gouverneur?

Le silence et la grimace de Beck fit naître un sourire sur le visage de Saskia. Un point pour elle!

La flibuste est un petit monde, vous savez... et je sais de source sure que vous manquez de mercenaires fiables. Vous et tous les autres gouverneurs néerlandais des Antilles. Plus d'un de ces mercenaires sans foi ni loi que vous utilisez de temps �  autres n'hésite pas �  piller nos navires �  l'occasion, apportant finalement plus de pertes que de gains. Je suis certes capitaine d'un petit navire, mais il a déj�  rempli bien des services aux Provinces Unies, dont des captures de navires ennemis, sans jmais nuire �  mon pays. J'ai certaines fois été blâmée de n'avoir rempli certaines missions... mais me demander d'arraisonner un deux ponts espagnol relève de la gageure, gouverneur. Cela ne peut m'être reproché, et vous le savez très bien.

Elle pose alors ses deux pieds croisés sur le bureau richement décoré, en signe de provocation.

Je ne vous ferai pas l'injure de vous démontrer �  quel point ma position actuelle vis-� -vis de vos besoins immédiats est dominante, gouverneur... tout comme vous ne me ferez pas celle de le nier. Et comme vous savez pourquoi ma présence ici, la seule question qui se pose est: pouvez vous vous passer de mes services? Car c'est ce qui devra arriver en cas de refus de votre part de considérer positivement ma requête...

Le gouverneur, excédé, repousse du bout de sa canne les pieds de la corsaire avant de répliquer.

JAMAIS JE NE LIBERERAI CE FORBAN DE SCAR! JAMAIS!
Votre requête est en soi une insulte et un motif de vous jeter en geôle avec lui! C'est une haute trahison envers votre pays, jeune fille!

Saskia se lève alors, fière et décidée.

Vous confondez intérêt du pays et ceux de votre ego. Scar est du menu fretin comparé au service que je suis venu vous offrir en échange de sa libération. Un service qu'aucun de vos précieux hommes ne peut vous rendre. Un service que vous feriez bien de considérer... car cela pourrait vous coûter votre place, gouverneur! Je suis certes une jeune fille, mais surtout un capitaine corsaire désormais éprouvé ayant connu les geôles espagnoles et ayant un excellent réseau d'informateurs. C'est la règle de base de tout bon marchand. Une corsaire capable en ce moment précis de vous permettre de rendre un service bien plus grand �  notre pays que l'exécution d'un pirate, fut-il nuisible aux Provinces Unies!

Elle se dirige alors vers la sortie.

   

[Jacquotte]

ATTENDEZ!

Le gouverneur l'arrêta net alors qu'elle s'apprêtait �  actionner la clanche de la lourde porte du bureau du gouverneur et sortir.

De quel service parlez vous? Je suis irréprochable, et vous le savez. je ne peux être relevé de ce poste, car je suis celui qui a combattu la corruption qui minait cette île, mais également toutes les Antilles néerlandaises. J'ai les mains propres, au contraire des gens de votre espèce! Votre tentative d'intimidation est pathétique, capitaine Saskia! Personne ne croirait un traitre mot de ce que vous avancez pour essayer de sauver votre ami du juste châtiment qui l'attend! C'est pitoyable et indigne!

Saskia se retourne, un sourire narquois aux lèvres, la clanche toujours en main.

Allons, gouverneur, vous avez mal compris mes paroles. Je n'insinuais pas que vous puissez être relevé de votre poste de gouverneur vertueux de Curaçao... mais que Curaçao puisse tout simplement cesser d'être néerlandaise sous peu!

Elle actionne alors la clanche et ouvre la porte. Face �  elle, son second et son quartier maître qui attendaient patiemment l'interroge du regard, visiblement anxieux. Elle leur répond d'un clin d'oeil montrant clairement que les choses commencent �  être �  son avantage, quand un hurlement se fait entendre derrière elle.

CAPITAINE SASKIA! REVENEZ IMMEDIATEMENT!

Elle referme alors la porte et revient devant el bureau, debout, pour bien signifier qu'elle a l'avantage et qu'elle oblige le gouverneur �  le reconnaître.

Expliquez vous! Mes hommes ne m'ont rien laisser entendre de la sorte et... même si nous sommes en guerre avec toutes les nations des Antilles, aucun acte d'envergure ennemi n'est �  prévoir contre Curaçao! Vous divaguez!

Ne me faites pas rire! Vos hommes sont des niais, gouverneur Beck. Lorsqu'ils passent leur temps dans les tavernes �  la recherche d'une information, tout le monde sait pour qui ils travaillent. Autant dire que si la totalité des nations ennemies s'alliaient pour vous envahir, vous n'en sauriez rien jusqu'�  ce que vous puissiez admirer la mer de voiles de la flotte ennemie au large de Curaçao depuis votre baie vitrée.

Le gouverneur marque le coup, profondément inquiet. Le doute l'envahit, ce doute qui est comme un poison et qui ronge le coeur. Ce doute dont Scar est dépourvu, homme d'action et d'inconscience face au danger.

Dites moi ce qu'il en est, et vous serez récompensée grassement, capitaine!

Vous connaissez le prix de mon service, gouverneur.

JAMAIS! Votre chantage est ignoble!

Alors nous ne pouvons faire affaire...

50 000 Florins pour vous si...

Vous ne m'avez pas bien compris, gouverneur. Je ne recherche pas d'argent mais un échange. L'information contre la libération discrète ce soir de Scar. Rien d'autre.

Le gouverneur s'écrase dans son fauteuil, attéré. Il devait choisir entre son orgueil et le juste désir de justice, et son île... choix cornélien pour qui possède un tel ego basé sur la probité et la justice inflexible.

Soit!

D'une main, il se malaxe le visage, comme s'ils voulait sortir d'un mauvais rêve, quand soudain l'homme politique qu'il est trouve une parade destinée �  sauver son honneur et surtout toute possibilité que son humiliation privée face �  cette corsaire ne soit connue du grand public.

Je promets de vous livrer ce forban si l'information en vaut bien le prix... mais Scar vaut bien plus que cela �  mes yeux, ainsi qu'aux vôtres. Aussi vous devrez me livrer, en plus de cette information apparemment cruciale, le plus grand trésor que vous possédiez...

Saskia lèvre un sourcil de surprise.

Votre fortune est bien plus grande que la mienne, gouverneur, je ne vois pas de ...

Le gouveneur lui coupe la parole sans ménagement.

Ce trésor en votre unique possession qu'aucun homme n'a pu prendre... même pas ce sélérat de Scar... cédez le moi scéance tenante, capitaine, et l'échange sera alors équitable. Cela ne sortira pas de cette alcôve, bien évidemment...

Le visage de Saskia s'assombirt d'un coup, alors qu'elle comprend la véritable nature de cette demande. Elle se mord la lèvre inférieure, rongée par des sentiments ambivalents et une réelle necessité de se sortir de cette négociation. Ce diable de politicien était arrivé neutraliser l'avantage acquis de haute lutte par des moyens déloyaux, chose bien classique en ce monde sans foi ni loi.

Elle baisse les yeux, résignée. Les jeux sont faits, et même si elle obtient ce qu'elle est venue chercher, le prix est bien supérieur �  ce qu'elle était prête �  céder. Mais était-elle même prête �  laisse celui qui l'a sauvée de l'exécution �  La Vega mourir en terre néerlandaise? Elle savait bien que non...

Marché conclu, gouverneur...

Un long silence.

Une lourde flotte de la Royale partira après la saison des cyclones de Guadeloupe, ayant pour but de prendre Curaçao par les armes. Ils seront escortés de flibustiers de La Tortue, mercenaires achetés �  l'occasion et attirés par la curie. Même si vous rassembliez tout ce qui peut être navire de guerre néerlandais dans les Antilles, vous ne pourrez faire face. Mais cette lourde flotte passera non loin des hauts fonds de l'Anse Sainte-Barbe pour venir envahir Willemstad, et ce sera le temps des grandes marées. Aussi je peux attirer une partie de la flotte ennemie afin qu'ils s'échouent sur ces hauts-fonds, laissant une chance �  votre flotte de guerre d'empêcher tout débarquement d'envergure... et ainsi sauver Curaçao.

Elle reste l� , debout, tandis que Matthias Beck, profondément inquiété par ces révélations, prend le temps de juger la situation. Il se lève et se plante devant la baie vitrée, songeur, les mains dans le dos, scrutant l'horizon.

L'information sera vérifiée, capitaine. Mais je ne doute pas de son authenticité. Je prendrai donc les dispositions qui s'imposent en un laps de temps si réduit, et je vous récompenserai pour la diversion que vous offrez si généreusement.

Il se retourne alors, regardant la capitaine corsaire avec un air gourmand dans les yeux.

Allons, damoiselle... vous êtes encore habillée? N'oubliez pas la deuxième partie de notre marché...



...

EPILOGUE

Le soir même, Scar fut livré discrètement �  Hubrecht, le second de Saskia, qui l'amena en terre française sur une barcasse, ne révélant jamais son identité. L'exécution fut annulée, faute de condamné qui, officiellement, a été libéré par une partie de ses hommes lors du transfer de la prison au lieu d'exécution... bien que personne n'ait entendu de coups de feu.

Deux mois plus tard, une partie de la lourde flotte française, escortée de mercenaires de La Tortue, s'échouent sur les hauts-fonds de Curaçao tandis que le reste de la flotte a maille �  répartir avec la faible flotte de défense rassemblée en hâte par le gouverneur de l'île. La bataille navale est indécise mais offre �  la Hollande une victoire stratégique et la fin des hostilités entre Français et Hollandais, du moins pour l'année �  venir.