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Darwin144
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« Répondre #5 le: 20 Septembre 2006 à 02:09:51 » |
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Ah, te re-voil� , jeune Capitaine. Une autre histoire ? C’est qu’il est bien tard et j’ai la gorge sèche d’avoir trop parlé. De plus, le contenu de cette bouteille vide ne saurait convenablement huiler la mécanique de ma voix éraillée.
Voil� qui est mieux, jeune Capitaine. Tu connais ton affaire. Une histoire ? Il m’en revient une. Mais ce n’est pas l� l’histoire d’un pirate brutal, soiffard et pillard au sang chaud, non, bien au contraire, c’est celle d’un capitaine audacieux qui, servant son pays de la Monarchie � la Révolution, du Directoire au Consulat et � l’Empire a su conserver la tête froide et naviguer… au mieux de ses intérêts. Un véritable corsaire. Le Corsaire. Alors, sers-moi donc un verre et écoute, écoute l’histoire de Robert Surcouf.
Descendant d’une famille de marins et de marchands, Surcouf naquit � Saint-Malo, sur les cotes de la Manche, en 1773, au début du règne de Louis XVI, le douze décembre, je crois. Ses parents, souhaitant assurer leur place au Paradis, l’inscrivirent au séminaire (Et puis, un prêtre, comme un médecin ou un notaire, dans la famille, ça fait toujours bien et ça peut servir en cas d’urgence).
Mais Robert trouvant sans-doute le sabre d’un maniement plus facile que le goupillon (ou peut-être jugea-t-il la tonsure peu seyante) faussa compagnie aux bons pères et embarqua comme mousse, � l’age de treize ans sur un bâtiment de la Royale.
A quinze ans, on le retrouve, partant pour les Indes, comme volontaire, sur « l’Aurore », � dix-huit ans, le voil� lieutenant, il quitta alors la marine de guerre. A vingt ans, commandant « la Créole », il se livrait au trafic d’esclaves. Est-ce � cette époque que, demandant la main de la jeune fille qu’il aimait � son riche père (celui de la jeune fille), il s’entendit répondre : « Revenez me voir lorsque vous serez devenu riche, peut-être alors pourrons-nous faire affaire » ? Point ne fut besoin de lui dire deux fois ! En 1796, il partit donc tenter sa chance et atterrit � bord d’un mauvais rafiot � l’Ile-de-France (Maurice) où il trouva l’aide nécessaire pour armer un petit corsaire. Doté d’un équipage de Lascars (sacrés marins ceux-l� , Indiens, je pense) dont personne ne peut dire s’il vaut mieux les avoir comme amis ou comme ennemis, il fit voile vers les cotes indiennes sans même prendre le temps d’obtenir ses lettres de marques (Ah les joies de l’administration) avec la ferme intention d’en découdre avec le premier Anglais qui croiserait sa route.
Il n’eut pas longtemps � attendre, dans le Golfe du Bengale, � l’est du continent indien, il rencontra un petit convoi marchand escorté d’une goélette armée en guerre. Il aborda et prit le schooner avant d’arraisonner les marchands et de repartir � bord du navire anglais, accompagné de dix-neuf hommes, de deux canons et de son butin, fruit d’une dure journée de labeur.
Quelques temps plus tard ; « Voile � tribord, un trois-mâts, Anglais, la Compagnie des Indes, « Le triton », mille tonneaux, vingt-six canons de 12 ! Peut-être 150 hommes ! Cachez-vous, tous ! Peut-être nous prendra-t-il pour l’un des pilotes du Gange. Je l’approche, en douceur. A mon signal, les mousquets, feu, et � l’abordage, il est � nous. » Ainsi fut dit, Ainsi fut fait. Le combat fut rapide et sans appel: cinquante blessés et dix morts dont le Capitaine chez les Anglais ; un mort et deux blessés parmi les soixante corsaires. Magnanime, Surcouf renvoya ses prisonniers � bord du petit schooner désarmé non sans leur avoir fait signer un cartel d’échange faisant de lui le propriétaire officiel du « Triton » (Formalités, formalités !). De retour � l’Ile-de-France, Robert eut la désagréable surprise de voir sa prise confisquée sous le fallacieux prétexte qu’il était parti sans lettre de créance. Mais les choses étant ce qu’elles sont, aucun problème, même fiscal, ne saurait perdurer face � quelques mots gentils et un bon pistolet; le Directoire, � la demande de la colonie, lui fit donc voter une prime, équivalente � la valeur de ses prises soit 700 000 Francs.
C’est que, soumises � un blocus sévère depuis le début de la guerre, les îles françaises de Bourbon (La Réunion) et d’Ile-de-France étaient au bord de la famine et que l’aide d’un corsaire intrépide et expérimenté était un support que les colonies ne pouvaient négliger.
Surcouf reprit la mer…. Et ne la lâcha pas. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, il écuma véritablement l’Océan indien, il était partout, insaisissable, ne laissant aucun répit � l’ennemi qui finit par rayer le mot « sécurité » de son vocabulaire. De combats en ruses de guerre, d’abordages en prises, le voil� en mille huit cents, commandant « La Confiance », corvette de trois cent soixante quatre tonneaux, gratifiée de vingt six canons de six et d’une centaine de forbans de touts poils, anciens de la Royale, frères de la côte, mulâtres libres de Bourbon, tous aguerris et fines gâchettes. Lorsque, au trente et un du mois d’août, après deux mois de course et six prise, en route vers l’Ile-de-France, retentit le cri de la vigie: « Navire ! Navire ! » Le Kent, navire de la Compagnie des Indes, mille cinq cents tonneaux, cinquante-six canons, quatre cent trente sept hommes dont cent cinquante fusiliers se profile � l’horizon. Au canon, perdu d’avance. Il faut aborder. « Faites branle-bas � l"équipage « Mousses, gabiers et matelots « Faites monter tout l"monde en haut « Le maître donne un coup d"sifflet. « En haut larguez les perroquets « Larguez les ris en vent arrière « Laissez porter jusqu"� son bord « Pour voir qui sera le plus fort » « La Confiance » accoste le géant par l’avant, l’équipage, stimulé par la promesse d’un pillage accordé pour deux heures (� l’exception de la cargaison, tout de même), enlève le gaillard d’avant, � coups de haches, � coups de sabres de piques de couteaux d’mousquetons en moins de temps qu’il n’en faut pour vider un verre de rhum, comme ça. Mais déj� , l’Anglais reprend ses esprits, se regroupe sur la dunette arrière, reforme ses lignes, fait pleuvoir un tir nourri sur l’assaillant, l’empêchant de progresser et menaçant de contre-attaquer. Surcouf fait retourner deux canons de proue du « Kent » contre leur ancien propriétaire (ces pièces-l� ne sont pas toujours d’une fidélité imprescriptible). La décharge des pièces volages, chargées � mitraille jusqu’� la gueule creuse les rangs anglais. La progression reprend, une grenade fuse sur la dunette, tuant le capitaine ennemi qui, de dépit, quitte le champ de bataille accompagné d’une vingtaine des siens. Nouvelle décharge, la dunette vole en éclats, les cadavres s’amoncellent, le sang ruisselle, les Français chargent, menés par leur capitaine qui, � grands coups de hache, ouvre de larges brèches écarlates dans les lignes ennemies. Les Anglais doutent, reculent, perdent pied, se terrent et se réfugient dans les derniers recoins du navire. « Il est � nous, ne tuez plus que ceux qui résistent. » Les deux cent cinquante prisonniers furent embarqué � bord d’un navire danois qui avait eu la sotte idée d’assister au combat et qui, une fois pris en chasse par « La Confiance », les accueillit de bonne grâce. Mais une question demeure : « Que dira-t-on du grand bateau « A Brest, � Londres et � Bordeaux « De s’être ainsi laissé surprendre « Par un corsaire de 6 canons « Lui qu"en avait 30 et si bon. A Londres en tout cas, la réponse est connue ; Sa très gracieuse majesté, perdit un tantinet son flegme très britannique, ainsi qu’un peu de sa légendaire grâce et condescendit � mettre � prix la tête de Surcouf: cinq millions de Francs !!!! "Ils me prisent bien haut mais ne me tiennent pas encore..." dit Robert, apprenant la nouvelle.
La guerre continua. On prétend, qu’en ces quelques années, il prit, � lui seul une cinquantaine de navires dont une majorité d’Anglais avant de rejoindre Saint-Malo en mille huit cent un. L� trouvant enfin grâce aux yeux de son pressenti beau-père, il parvint finalement � épouser celle pour les yeux de laquelle il avait couru le monde (fallait-il qu’ils fussent beaux). Changeant de statut, il devint un armateur riche et considéré et arma de nombreux navires en course.
En mille huit cent trois, Napoléon (lui-même) vint lui proposer une commission de capitaine de vaisseau assortie du commandement d"une escadre. Considérant ne pas disposer de la liberté de manœuvre nécessaire, Surcouf refusa mais ne manqua cependant pas l’occasion (qui était belle) de plaider la cause de la course. Arme plus efficace, selon lui, qu’une flotte de guerre dans le combat, économique avant tout, contre l’Angleterre. Sans-doute l’Empereur l’a-t-il entendu puisqu’en mille huit cent cinq il tentera d’asphyxier la Grande-Bretagne en la soumettant � un blocus maritime. En outre, � l’exception de quelques molles déclarations de circonstance, l’Empire ne prit aucune mesure réelle contre la flibuste.
Fatigué d’une période d’inaction longue de six ans, Surcouf fit construire un trois-mats, le bien-nommé « Revenant » et repris la course en mille huit cent dix. Son nom redevint la hantise du commerce anglais aux abords de l"Inde. A tel point que le gouvernement anglais cru bon de renforcer de plusieurs frégates sa flotte dans ces mers. Il poursuivit ainsi son chemin, tranquille, semant la terreur chez l‘Anglais qui, de nouveau, oublia le sens du mot « confort » ; Jusqu’en mille huit cent treize où, satisfait du butin amassé, il rentra en France, commandant « le Charles », vieille Frégate rachetée au gouvernement qu’il avait armée en flûte.
De retour � Saint-Malo, muni d’une fortune réelle, d’un titre de baron et d’une rosette de la légion d’honneur (mais pas de raton laveur), il se consacra � la spéculation commerciale (autre forme de flibusterie) où l’expérience acquise sur mer lui fut des plus profitables.
Modifié par Darwin144 le 20/09/2006 02:2
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