Puisse-t-il y reposer en paix

[Mercantos]

Journal de Bord du Morning Star



428ème jour de mer.

Une longue route nous attend. Les gouverneurs Anglais ont cette mauvaise manie de toujours vouloir nous envoyer loin de leurs ports, sans doute le fait que nous les attaquions autant que nous les aidons y est pour quelque chose. Pourtant, ils ne se font pas prier quand on leur propose de leur graisser la patte… Tous les même : l’argent seul les intéresse, comme nous les pirates, sauf que contrairement �  eux, nous avons l’honnêteté de l’avouer.

Couler un navire, comme d’habitude. C’est la mission qu’il nous a trouvée. Un navire espagnol, ça risque de mettre un coup �  la lettre de marque que nous ont confiés les espagnols mais après tout, des pièces d’or ne se refusent pas et nos relations avec le royaume d’Espagne sont suffisamment bonnes pour qu’ils nous le pardonnent.

Nous lèverons l’ancre demain �  l’aube.


432ème jour de mer.

L’avantage des longues routes entre le continent et les îles est qu’on y croise un grand nombre de proie. Nous avons du laisser filer ceux battant pavillon espagnol, nos relations n’ont pas besoin de ça, mais pourtant les calles sont déj�  bien remplies. Les pertes sont légères, vite compensées par les esclaves et les cinq naufragés que nous avons croisés. Quand au navire, je suis agréablement surpris par ces hommes que nous avons recrutés avant de partir. J’avais fait faire le plein de bois et de tissus mais ces deux l�  s’en seraient bien passé, ils maîtrisent leur art et n’en use que peu pour remettre le bateau �  neuf.

Les cales sont bien remplies et les hommes sont heureux. Ma seule crainte est de ne pas avoir assez de place pour empiler le butin que nous ramasserons ou de tomber �  cours de munition. Les stocks de mitraille, qui se sont montrés dévastateurs maniés par le nouvel artilleur, sont faibles mais il nous restera toujours plus de mille boulets ainsi que les boulets ramés.

450eme jour de mer

Sommes arrivés a bon port sans encombre. Nous avons bien croisé quelques vaisseaux de guerre mais nous les avons évité, ce n’était pas notre but �  ce moment l� . Le risque de perdre la cargaison était trop grand et nous avons préféré la vendre avant de partir �  l’attaque. La mission de l’anglais a été une formalité et maintenant, les espagnols se servent de nous comme de vulgaires coursiers : ils nous font transmettre des messages. Si cela continu, je devrais passer �  l’offensive de ma propre initiative.

460eme jour de mer.

Par toutes les puissances de l’océan, voil�  bien un évènement �  célébrer.

Les espagnols avaient finit par se laisser convaincre de nous confier une vraie mission : couler un navire. Ses cales étaient bien remplies, il se croyait en sécurité au large d’une île pirate. Le fou !

Mais ce n’est l�  que broutille comparée au retour. Alors que nous rentrions au port espagnol pour y dépenser le butin, une frégate anglaise a cru bon de nous barrer le chemin. Ne sommes nous donc pas alliés ? Certes nous avons coulé nombre de leurs navires mais si nous payons les gouverneurs ce n’est pas pour voir ce genre de choses arriver !

Qu’importe, ils se pensaient en supériorité avec leur forteresse des mers, leurs canons étaient tous pointés vers nous, leur équipage fourmillait sur le pont et ailleurs, ils s’apprêtaient �  déchaîner l’enfer sur nous. Et bien qu’ils ne s’en privent pas ! Diantre, je serais pendu si je fuyais de tels scélérats.

Une pluie de boulets s’est abattue drue sur notre navire. Le bois explosait, les voiles se déchiraient, l’équipage était déchiqueté,… Certes ils étaient puissants, mais nous l’étions bien plus même si ces pauvres fous n’en savaient rien, contrairement �  eux, nous maîtrisions notre technique. Nos canons ne bronchèrent pas alors que notre navire fonçait sur eux, se faisant mettre en pièces par celui de nos ennemis. Puis, une fois la distance suffisante, la barre fut tournée et notre flanc les fixa un instant qui sembla durer une éternité.

Par deux fois, seulement deux, nous fîmes feu. La mitraille dont le borgne, notre artilleur, avait fait son arme favorite ravagea complètement le pont et l’intérieur de la frégate. Des membres furent arrachés, des cœurs transpercés, des hommes réduits �  l’état de masses sanguinolentes. Les cris de douleurs se mêlèrent �  ceux de rédition. Les anglais abandonnaient.

Nous montâmes vite �  leur bord, emportant notre cargaison avec nous. Le capitaine de la frégate avait survécu et nous regardait d’un air ahuri. Pensait il que nous laisserions notre navire se faire réduire en miette si nous n’avions pas l’intention de prendre le sien ? Nous aurions pu rester hors de leur portée et faire tomber plus de boulets qu’ils n’en avaient jamais vu. Au contraire, leur navire était presque intacte et était �  nous. Les soldats survivants furent forcés de jeter les corps de leurs camarades �  la mer avant que nous ne les abandonnions sur notre ancienne brigantine.

Un frisson me parcouru alors que nous nous éloignions. La vue du Morning Star dans ce piteux état me fit prendre conscience que nous avions frôlé la mort mais pire, je me prit �  le regretter. Il nous avait rendu de fiers services, avait combattu et vaincu de bien plus forts que lui, avait augmenté notre butin de manière considérable. Regrettant qu’il soit trop abîmé pour l’emmener (et quand bien même il ne l’aurait pas été, l’équipage aurait manqué pour emmener les deux navires), je fis charger les canons.

Je ne put me résigner �  regarder et c’est le dos tourné que j’entendis le fracas qui l’envoyait vers sa dernière demeure pour un repos plus que mérité. Puisse t il y reposer en paix.