|
|
« Répondre #19 le: 04 Juillet 2007 à 15:40:55 » |
|
Moi y'a pas mal de poème que j'aime en voici deux : L'albatros
Souvent pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner � côtés d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Baudelaire, Les fleurs du mal II
Oceano Nox
O combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparus, dure et triste fortune ! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Dans l'aveugle océan � jamais enfouis !
Combien de patrons morts avec leur équipages! L'ouragan de leur vie � pris toutes les pages Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots ! Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée. Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée; L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots!
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues ! Vous roulez � travers les sombres étendues, heurtant de vos fronts morts des éceuils inconnus. Oh! Que de vieux parents qui n'avaient plus qu'un rêve, Sont morts en attendant tous les jours sur la grêve, Ceux qui ne sont pas revenus! On s'entretient de vous parfois dans les veillées. Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées, Mêle encor quelques temps vos noms d'ombre couverts Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures, Aux baisers qu'on dérobe � vos belles futures, Tandis que vous dormez dans les goémons verts!
On demande : - Où sont-ils? Sont-ils roi dans quelque île? Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile?- Puis votre souvenir même est enseveli. Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire. Le temps, qui sur tout ombre en verse une plus noire, Sur le sombre océan jette le sombre oubli. Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue. L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ? Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur, Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre, Parlent encor de vous en remuant la cendre De leur foyer et de leur coeur!
Et quand la tombe enfin a fermé leur paupières, Rien ne sait plus votre noms, pas même une humble pierre Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond, Pas même un saule vert qui s'éffeuille � l'automne, Pas même quand la chanson naïve et monotone Que chante un mediant � l'angle d'un vieux pont!
Où sont-ils les marins sombrés dans les nuits noires? O flots! Que vous savez de lugubres histoires! Flots profonds redoutés des mères � genoux! Vous vous les racontez en montant les marées, Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!
Victor Hugo
Allez, un petit dernier !
L'homme et la mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir, tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais a plonger au sein de ton image; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets; Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes; O mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voil� des siècles inombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remords, Tellement vous aimez le carnage et la mort, O lutteurs éternels, O frères implacables !
Charles Baudelaire (1821-1867)
|